The Cramps :
voilà un groupe auquel je peux raisonnablement vouer un culte complètement
déraisonnable. Le label espagnol Munster
records qui n’a plus rien à prouver à personne dès qu’il s’agit de musique
de vieux a publié File Under Sacred Music
– Early Singles 1978 - 1981 qui comme son nom l’indique se veut être une
rétrospective des premiers 7’ des Cramps. Tout depuis Human Fly/Domino en 1978 jusqu’à The Crusher/Save It/New Kind Of Kicks
en 1981. Très bien. On sait que Lux Interior et Poison Ivy
avaient eux-mêmes une passion pour les singles et autres 7’ et qu’ils en
possédaient littéralement des milliers.
Le label a admirablement fait les choses : File Under Sacred Music – Early Singles 1978 - 1981 se présente sous la forme d’un coffret contenant pas moins de dix
singles, une enveloppe avec reproductions de cartes postales et des facsimilés
de cartes de visite de Poison Ivy et de Lux Interior. La grande classe. Pour
les pauvres il existe une version CD emballée dans un digisleave (c’est comme ça que
l’on dit maintenant, ce n’est ni plus ni moins qu’une pochette entièrement
cartonnée) et dont le livret reprend les visuels des dix singles. Ça peut le
faire également.
On remarquera tout de même plusieurs choses à
propos de File Under Sacred Music – Early
Singles 1978 - 1981. Tout d’abord sont présentés ici les débuts
« officiels » sur disques des Cramps : pour les versions
primitives du groupe (avec Pam Balam ou Miriam Linna) il faut se reporter à la
compilation posthume How To Make A
Monster (Vengeance records, 2004). Les seuls line-up concernés ici sont logiquement
ceux avec Nick Knox et Brian Gregory puis Kid Congo Powers.
Ensuite et surtout les Cramps n’ont pas publié dix
singles entre 1978 et 1981 mais seulement six. Quatre des disques proposés dans
ce coffret sont en fait des créations purement et simplement sortis de l’esprit
d’experts chevronnés en marketing nostalgique. Les quatre « faux » singles en
question sont : Lonesome Town/Mystery Plane, TV Set/The Mad Daddy, Twist And Shout/Uranium Rock et Rockin’Bones/Voodoo Idols. Les fanatiques
objecteront que Lonesome Town
apparaissait pourtant sur Gravest Hits
qui à la base réunissait les deux premiers singles des Cramps (Human Fly/Domino et Surfin’ Bird/The Way I Walk). On peut également noter
que le single Garbageman/Drug Train ne figure pas dans le coffret
File Under Sacred Music car ses deux
faces se retrouvent ailleurs, respectivement sur Fever/Garbageman et Drug Train/Love Me/I Can’t Hardly Stand
It. Chipotage de geeks que tout ceci.
Ce qui nous amène au point suivant. File Under Sacred Music – Early Singles 1978 - 1981 n’est pas la première compilation de singles des Cramps. Il suffit
de citer …Off The Bone avec sa
géniale et célèbre pochette en 3D, publié en 1983 et qui
fait presque le même usage. Les accrocs au CD (oui ça
existe encore) remarqueront même que la dernière édition CD en date de …Off The Bone (parue en 1998 chez Zonophone
et toujours disponible à ce jour) a un tracklisting quasiment identique. File Under Sacred Music a pourtant l’avantage
certain de proposer six titres en plus qui sont Mystery Train, TV Set, The Mad Daddy, Twist And Shoot, Rockin’
Bones et Voodoo Idol. Les trois
premiers sont des titres du tout premier album des Cramps, Songs The Lord Taught Us (1980). Les deux derniers sont extraits du
deuxième album des Cramps, Psychedelic
Jungle (1981). Pour les inédits et les raretés on repassera donc. Ce qui
nous permet de conclure que File Under
Sacred Music – Early Singles 1978 - 1981 est vraiment un produit : le
coffret pour les collectionneurs psychopathes (et c’est vrai qu’il est très
beau, il y a pleins de photos pas forcément inédites mais réellement superbes)
et le CD pour celles et ceux qui voudraient s’offrir une chouette compilation
des premiers titres des Cramps. Un produit c’est de toute façon ce que
sous-entendait le titre même du disque et surtout son sous-titre. On racole comme
on peut.
Et c’est là qu’on va se mettre à parler un petit
peu de musique – mais pas trop, je vous rassure tout de suite. En 22 titres File Under Sacred Music démontre que les
Cramps, même et surtout en 2012, défonce 99 % des pseudo-groupes garage actuels.
Je ne parle pas spécifiquement de psycho mais bien de garage au sens large. Les
merdeux en slim, en converse et à mèche peuvent vite fait bien fait ranger les
guitares et retourner à l’école pour faire des études avec le vain espoir
d’avoir un jour un vrai travail aliénant. Ils ne feront jamais le poids. On ira
même jusqu’à affirmer que pour la plupart ils sont ridicules.
Pourquoi ? Premièrement parce que les Cramps
avaient un vrai chanteur. C'est-à-dire un type qui savait réellement bien
chanter. Une voix pour ainsi dire. Deuxièmement les Cramps avaient compris
avant tout le monde comment piller le passé et toute la musique qui avait déjà
été enregistrée – ici, spécifiquement : le rock’n’roll, le rockab et ce
genre de saloperies 50’s – sans avoir l’air ridicule, en rendant un hommage
appuyé mais juste car sincère et passionnel. Ceci s’appelle littéralement avoir
de la classe. Et les Cramps ne sont pas qu’un groupe étendard : les Cramps
sont l’une des définitions possibles du rock’n’roll. Cela reste indiscutable
après l’écoute de File Under Sacred Music
et finalement de (presque) n’importe quel album studio du groupe. Ainsi c’est
le seul avantage de ce coffret aussi luxueux qu’inutile – ce qui le rend
logiquement indispensable – et la seule grande leçon à retirer de tout
ceci : avoir toujours envie d’écouter les Cramps, éternellement.
[et en parlant de fausse
nostalgie et de bizness du passé les Cramps ont encore autre chose de plus que tout
le monde : avec la mort de Lux Interior le 4 février 2009 on sait que le
groupe ne se reformera pas et c’est vraiment très bien comme ça]