Faire des listes serait le symptôme d’un
dérèglement névrotique certain, un peu le même qui consiste à collectionner
inutilement des disques. J’ai donc scrupuleusement fait la liste de tous les
concerts que j’ai ratés pendant une semaine pour une (mauvaise) raison ou pour
une autre (bonne, évidemment) : Papier Tigre le vendredi 13 à l’Epicerie
Moderne, Ned et Flipper au même endroit le 14, à nouveau Papier Tigre mais au
Kraspek le 15, Chelsea Wolfe au Sonic le 16, And Also The Trees (mais
oui !) le 17 et toujours au Sonic et enfin The Feeling Of Love le 18 au
Trokson. Sacrée liste, sacrée lose.
Alors je devrais peut-être arrêter d’affirmer
qu’il ne se passe jamais rien dans cette ville. Mais non, je vais insister au
contraire encore un peu : avec la mise en sommeil de Grrrnd Zero et les
incertitudes planant sur l’avenir du Sonic, l’offre de concerts DIY, à la marge
ou hors catégories se raréfie dangereusement. Le Périscope est l’un des
derniers endroits qui ne ressemble pas à un mouchoir de poche ni à une usine et
qui accueille en plus de sa programmation propre des concerts à mon sens
intéressants. Dans les semaines à venir on notera la venue de Microfilm le 24
mai (c’est un concert Active Disorder) ainsi que celle de Katawumpus le 30 juin
et on reparlera dès que possible de la programmation du prochain festival
Expérience(s). Mais les premiers noms qui sont tombés pour ce rendez-vous
annuel organisé par l’équipe du Périscope font carrément envie*.
Aussi il était presque hors de question que je rate
ce concert d’IRèNE. Le
quartet, habitué du Périscope, vient tout juste de terminer l’enregistrement de
son premier véritable album, un album qui devrait être publié en octobre prochain
sur Carton records – tout
comme le premier
EP du groupe. Il était déjà très bien ce premier EP d’IRèNE. Mais après
avoir enfin revu le groupe en concert et entendu pleins de ses nouveaux titres,
l’impatience d’écouter la suite des enregistrements de cet excellent groupe n’a
fait qu’augmenter. L’attente risque de paraître très longue.
Au sein d’IRèNE on retrouve une sacrée brochette
de musiciens, Yoann Durant au saxophone soprano et alto (et aussi un peu au
tuyau d’aspirateur), Julien Desprez à la guitare électrique, Clément Edouard à
la bidouille électronique ainsi qu’au saxophone alto et, pour finir, Sébastien
Brun à la batterie. IRèNE regroupe ainsi des personnalités dont on apprécie par
ailleurs la musique avec d’autres formations tels que les Lunatic Toys, Loup,
OK, DDJ, Q, Kandinsky (R.I.P.) alors autant affirmer que ce quartet est en
quelque sorte la crème de la crème d’une « scène » oscillant entre
modernité free jazz et actualité électrique. Or IRèNE est peut être le groupe
le plus surprenant de tous**.
Le titre d’ouverture du concert a montré un groupe
au sein duquel les musiciens se répondaient en une sorte de ping-pong nerveux
et sec (mais vraiment très drôle) s’amplifiant de plus en plus tout en tirant
vers une abstraction aussi irréelle que comique. Une idée très simple – et une
mise en œuvre qui par contre ne doit pas l’être – pour un résultat génialement
décalé en ce sens qu’il incorpore de l’humain dans les rouages d’une machine imaginaire.
En écoutant IRèNE en concert je me faisais alors l’effet de regarder un de ces films muets et en noir et blanc, ceux que je préfère : une reproduction forcément imparfaite parce qu’incomplète d’une certaine réalité mais en même temps une telle abnégation et une telle inventivité dans les moyens employés que cette reproduction/représentation en devient criante de vérité et de pertinence.
En écoutant IRèNE en concert je me faisais alors l’effet de regarder un de ces films muets et en noir et blanc, ceux que je préfère : une reproduction forcément imparfaite parce qu’incomplète d’une certaine réalité mais en même temps une telle abnégation et une telle inventivité dans les moyens employés que cette reproduction/représentation en devient criante de vérité et de pertinence.
IRèNE réussit à insuffler tellement de fraicheur
et d’immédiateté dans une musique qui pourtant sur le papier pourrait se
montrer tellement cérébrale et calculée. Pour être un peu plus exact, cérébrale
et calculée, cette musique l’est très certainement, mais elle est également
d’une inventivité, d’une drôlerie, d’une beauté et d’une puissance qui la rendent
à nulle autre pareille. IRèNE ne joue jamais en force mais pourtant assaisonne
sec – on ne dira jamais combien Julien Desprez et sa guitare peuvent tenir la
dragée haute à nombre de noiseurs patentés –, IRèNE n’est pas un groupe de free
jazz mais jouit d’une liberté constante et débridée, IRèNE n’est pas un groupe
de musique contemporaine mais transcende les règles de l’abstraction sonore
vers toujours plus de poésie. La générosité ne sert réellement que lorsqu’on a
quelque chose à dire, c’est qui est bien le cas d’IRèNE. Merci beaucoup pour ce
beau concert.
En première partie CT4C proposait quelque chose de
radicalement différent. Un vidéaste, un trompettiste (également au bugle) et un
manipulateur de machines étaient sur scène devant un écran. Ma nature
capricieusement conservatrice me force à plus ou moins détester tout ce qui se
rapproche de près ou de loin d’un mélange entre musique électronique et jazz.
En outre, puisque je suis loin d’être parfait, j’ai toujours eu un peu de mal
avec la trompette.
CT4C n’est donc pas fait pour moi, même si je dois
admettre que les passages bruitistes – bruits de bouche du côté de la trompette
et bruits parasitaires/clics and cuts du côté des machines – ont réveillé mon
intérêt. Une autre fois peut être.
* n’insistez pas, j’ai juste le droit de ne rien
dévoiler
** il est vrai qu’OK et sa pop lumineuse et
inventive sont aussi un cas à part