Même pas remis du concert
de Winter Family la veille au Sonic, voilà qu’il faut déjà remettre ça,
pour mon plus grand bonheur. Mais le choix est rude car le Kraspek Mysik
accueille L’Ocelle Mare* tandis que Gaffer
records organise un concert de Staer et Child Abuse à Buffet Froid. Deux concerts
intéressants voire immanquables le même soir à Lyon, voilà qui devient plutôt
rare.
Finalement le choix est vite fait car un groupe
américain comme un groupe norvégien, ça fait forcément des bornes pour venir
jusqu’ici et donc rien ne peut garantir que l’un et l’autre pourront revenir
dans six mois, un an, deux ans… le contraire est malheureusement même plus que
probable.
Et puis il y a la curiosité de découvrir Staer
dont le premier LP sans titre vient de paraître chez Gaffer records. Le label
reprend d’ailleurs sérieusement du poil de la bête car il vient également de
publier Sicks, Stones & Breaking
Bones, un album solo de Will Guthrie, et annonce pour très bientôt un nouvel
album de Marteau Rouge, le deuxième album de Loup ainsi que la réédition en
vinyle du Cataclysm des Flying
Luttenbachers. Que du bonheur en perspective.
Je pensais que Staer allait jouer en premier mais
les trois Child Abuse, extrêmement fair-play et bien élevés, ont décidé du
contraire, expliquant aux trois norvégiens que c’était leur soir à eux et que
donc ils méritaient de jouer en dernier, en tête d’affiche comme qui dirait. La
raison étant que Staer a récupéré le jour même les exemplaires de son tout
premier LP et j’imagine qu’effectivement voilà un évènement qui doit plus que
compter dans la vie d’un groupe. Au final cela n’aura malgré tout pas changé
grand-chose puisque Child Abuse et Staer joueront le même temps (40 minutes)
car à Buffet Froid et sur la Croix
Rousse en général on ne plaisante pas avec les horaires et le voisinage
plutôt réfractaire à toutes formes de nuisances d’ordre musical.
Pour faire un peu vite au sujet de Child Abuse, on regrettera
le côté assez mécanique et froid du trio. Ça, on ne peut pas nier que la
musique du groupe de Brooklyn est franchement barrée mais à la longue elle
finit également par devenir complètement prévisible à l’image de ce batteur
dotée d’une magnifique moustache mais jouant systématiquement de la même façon
sur tous les titres. Les deux autres membres (à gauche : synthé et
voix ; à droite : basse et voix également) font les bonnes grimaces
au bon moment, soignent leurs breaks et leurs effets spéciaux en foutraquerie
appliquée.
Je crois que j’ai toujours un problème avec ce
genre de groupes finalement plus consciencieusement méthodiques que délibérément
psychopathes : il ne faut pas que ça dure trop longtemps sinon je finis
par ne voir et n’entendre que les recettes et les ficelles derrière la folie
supposée. Child Abuse est malheureusement moins bon en concert que ce que
l’album Cut And Run pouvait laisser croire
mais au moins le groupe ne tombe pas dans le piège de la performance ou de la
démonstration sportive** et s’en tire avec les honneurs. En résumé : bien
content d’avoir vu Child Abuse en concert mais pas certain d’y retourner la
prochaine fois.
Avec une réputation lointaine mais insistante
d’excellence, les norvégiens de Staer
intriguent vraiment. Les trois musiciens sont limite des gamins, presque
imberbes et ils ont une certaine tendance à regarder leurs pieds à force de
timidité. Pourtant dès les premiers instants du concert on sait que le groupe
va asséner une bonne calotte au maigre public rassemblé dans la cave de Buffet
Froid désertée après le concert de Child Abuse (mais public qui reviendra au
fur et à mesure, attiré par l’énergie de celui de Staer).
En particulier le batteur sert de pivot à la
musique complètement instrumentale du trio. Une musique bruyante, lourde et
hypnotique, procédant par vagues cycliques résonnant de plus en plus fort mais
éliminant tout psychédélisme de son propos. Au contraire on peut penser à des
groupes très urbains (et norvégiens eux aussi) tels que Moha! – pour le côté
éventuellement concassé – mais surtout Noxagt et Ultralyd pour la pesanteur
insistante doublée, oui c’est presque un exploit, d’une fluidité incandescente.
Si le bassiste a un rôle peu commun dans Staer –
il est plus qu’un simple bassiste qui délivre des lignes sans s’en écarter –,
le guitariste possède lui un son réellement impressionnant d’expressivité
féroce et de puissance décuplée. Ainsi Staer rejoindrait presque les
circonvolutions d’un Laddio Bolocko en mode mastodonte et difforme. La charge
est intense et âpre mais révélatrice d’un bouillonnement qui délaisse toute
frénésie facile pour se concentrer sur des déplacements massifs, précis, comme
au ralenti et en forme de mouvements telluriques assourdissants. La terre
tremble.
* L’ocelle Mare/Thomas Bonvallet au sujet duquel on
parlera bientôt de Serpentement, son
tout nouvel et extraordinaire album
** pas comme un groupe tel que The Locust qui
était incroyablement pénible en concert à force de vouloir trop en faire et de
se regarder lui-même dans les yeux forcément ébahis de son public chéri – un
bel exemple de démagogie musicale sportive et égocentrée