J’ai bien
cru que jamais je ne verrais les Conger! Conger! en concert à Lyon. Pas
d’endroit où jouer, pas de date de disponible, rien. Ou alors il aurait fallu
que j’aille jusqu’à Saint Etienne (horreur) pour enfin découvrir le groupe
marseillais sur scène.
La situation locale se désagrège donc doucement
mais sûrement. Dernier exemple en date les Welldone Dumboyz qui n’ont pas pu trouver
de date ici et ont donc annulé leur mini-tournée parce que cela leur coutait
trop cher de rallier directement Belfort à Avignon sans faire d’escale
intermédiaire. Mais on peut également citer les Death To Pigs – dont l’album Live At Karachi figure en bonne
place dans le top of the dope de 666rpm – qui ont du faire l’impasse sur Lyon
ou les monstrueux Hey Colossus qui ont suivi le même chemin. Ce triste constat
lié entre autres à la mise en sommeil forcé de Grrrnd Zero (la structure
vraiment idéale pour accueillir des groupes DIY et crève-la-faim dans de bonnes
conditions) c’est celui que j’exposais après le concert de Conger! Conger! à
l’un des membres du groupe échoué comme moi et quelque autres dans un
appartement croix-roussien pour boire deux ou trois trucs en attendant que la
nuit se passe.
Parce que oui, Conger! Conger! a quand même fini
par jouer à Lyon ce vendredi 30 mars et ce grâce à l’abnégation et à la
ténacité de leur tour manager forcené (également directeur du label Katatak) qui depuis Marseille s’est débrouillé tout
seul comme un grand pour trouver in extremis un lieu, deux premières parties et
rameuter un peu de monde. Cette date lyonnaise quasiment tombée du ciel était
l’avant dernière d’une tournée semble-t-il riche en bons moments. La veille
Conger! Conger! était justement à Saint Etienne dans le cadre du Festival
Avatarium. Le lendemain le groupe serait au Pakebot
en Haute Loire, un endroit parait-il splendide où je rêve secrètement de me
rendre.
Mais ne rêvons pas. L’endroit où Conger! Conger! a
joué sur Lyon n’était pas non plus la solution idéale : au Trokson les
concerts sont « gratuits » et les groupes sont payés grâce au prix
majoré des consommations au bar. Quand il y a du monde en terrasse parce que
c’est le printemps et qu’il fait bon dehors l’idée peut paraitre séduisante.
Mais il n’empêche que je préfère payer un prix d’entrée, cela me semble plus
juste et proposant davantage de garanties quand au défraiement des groupes.
Vaste débat.
Les premiers à jouer ce soir s’appellent Cheverny
et en dehors d’une référence un peu
rance en matière de bande dessinée, il s’agit de la première apparition en
public de ces trois garçons. On les connait pourtant déjà puisqu’on retrouve
dans le line-up le batteur de Carne ainsi que deux anciens Kiruna à la basse et
à la guitare ainsi qu’au chant. Que croyez-vous que ces trois là jouent comme
musique ? Gagné : de la noise hardcore (ou du hardcore noise) jouée
vraiment très, très, fort. Hormis le chant – pas vraiment mis en valeur non
plus par un surcroit de reverb plutôt mal venue – Cheverny tourne déjà bien
comme il faut, les compositions assaisonnent, les riffs éculés abondent mais
donnent la trique, les lignes de basses tabassent et le batteur démontre un jeu
assez différent de ce quoi il nous a habitué avec son autre groupe de viandard.
Un bon concert, un bon début aussi.
Puis c’est le tour de Torticoli
pour le concert semi-mensuel du trio (il y a tout juste une semaine le groupe jouait à La Triperie en compagnie de
Jean-Jean). Sauf que ce soir Torticoli joue à quatre comme cela arrive de temps
à autre, c'est-à-dire qu’il y a un chanteur grimaçant sur une petite moitié des
titres. Cela tombe bien, cela fait quelques concerts du groupe auquel j’assiste
et pour lesquels le chanteur n’est pas présent.
Première constatation : Torticoli joue moins
fort que Cheverny. Mais le groupe a un super son. Je regarde toujours avec une
certaine admiration le matériel bricolé (amplis et pédales à base de cartes
à puce arrachées d’un vieil Amiga 500) de l’un des deux guitaristes.
Deuxième constatation : le fossé entre les titres chantés et les titres
instrumentaux me semble moins important. J’ai toujours l’impression d’entendre
le même groupe, quoiqu’il arrive, car guitaristes comme batteur n’hésitent pas
à se lâcher même lorsqu’il y a du chant (sur les premiers titres joués puis à
nouveau en fin de set). Dernière constatation : si vous en avez l’occasion
ne ratez pas Torticoli lors de sa première tournée triomphale : le 5 avril
au Up And Down de Montpellier, le 6 à Toulouse (Petit London), le 8 à Paris (au
Rigoletto et avec Adolina, un groupe qui vient de publier un très bon disque
sur A Tant Rêver Du Roi) et pour finir le 9 au CCL de Lille. Vous ne le
regretterez pas.
Et voici donc Conger! Conger! dont l’album At The Corner Of The World a été
l’un des plus beaux émois de l’année 2011. Il en sera de même pour ce concert
vivifiant pendant lequel générosité et volubilité ont été les maitres mots.
Mais ne croyez pas que Conger! Conger! est un groupe qui en fait des tonnes et
surtout des mauvaises. Non, Conger! Conger! est tout simplement un groupe de
grande classe. Maintenant que ses trois membres sont tranquillement rentrés
chez eux à Marseille je peux bien l’avouer : voilà l’un des meilleurs
groupes que j’ai vu ces derniers temps en concert.
Une intensité réelle, des compositions dont
certaines sont pas loin d’être inoubliables, une interprétation un rien
débridée mais toujours assurée, des accidents de parcours qui donne le ton,
celui de la décontraction et de l’humour (bravo pour le plan du xylophone égaré
ou pour le salto arrière derrière la batterie). Et une musique qui en concert
gagne en vivacité, en vindicte mais sans tomber dans la facilité du « jouons
plus fort, ça créera des sensations ».
Car, première constatation*, Conger! Conger! joue
moins fort que Torticoli. Le son du groupe est bien équilibré, on entend
parfaitement les subtilités du jeu de guitare comme celles de la basse (ce qui
est beaucoup plus rare : d’une part que cet instrument ait parfois un rôle
mélodique et d’autre part que l’on puisse l’entendre aussi bien) et au milieu
la batterie claque parfaitement – alors que très étonnamment il s’agit d’une
véritable batterie-jouet tout juste améliorée.
Deuxième constatation Conger! Conger! sait
parfaitement digérer ses influences pour en faire quelque chose qui lui est
propre. Encore une fois la marque de la sincérité mais surtout une sincérité
qui touche juste. Le groupe n’a pas son pareil pour susciter l’émotion sans affaiblir
toute son énergie (et inversement quand ça pulse ce n’est jamais inutilement,
juste pour le plaisir de ruer dans les brancards).
Troisième et dernière constatation : voir
jouer un groupe de trois mecs d’une quarantaine d’années, pères de famille et dont
certains ont (au choix) des cheveux blancs, du bide et un humour ubuesque ça
change vraiment de tous ces groupes de jeunes cons prétentieux qui pensent
toujours – alors que nous sommes quand même en 2012 – être en train d’inventer
quelque chose. Et puis c’est rassurant. Oui, moi ça me rassure. Des gens comme
moi mais avec du talent. Merci pour tout.
* oui je vais beaucoup constater aujourd'hui
* oui je vais beaucoup constater aujourd'hui