vendredi 19 novembre 2010

Foetus / Hide


La première réaction a été celle d’un rejet total et en bloc d’un album dont finalement on n’attendait rien, peut être quelques grosses crises de rire et les habituelles kitchouneries débridées à grand renfort de faux big band jazzy et de percussions métalliques. La musique de J.G. Thirlwell enregistrée sous le nom de Foetus a toujours été riche d’une teneur déraisonnable en (auto) parodie et délires soniques avec un sens du bricolage et de la démerde réjouissant. Mais Foetus n’a jamais rien eu de lo-fi tout comme J.G. Thirlwell n’est pas un crevard mais un dandy. Un seigneur de grande classe. J.G. Thirlwell est surtout une sorte de savant fou éclairé, cloîtré dans un home studio bouillonnant et bordélique, un home studio d’où sont sortis au fil des années une triplette d’albums hallucinants (Hole, Nail et Thaw)* et des résurgences machiavéliques (Gash et Flow)*. Notre homme avait montré avec Love* qu’il souhaitait sortir d’un carcan finalement devenu prévisible bien que toujours unique en son genre, construisant alors un album un peu trop en retrait et tournant principalement autour des sonorités du clavecin. Mais Love n’était pas un mauvais album, tout juste pouvait il paraitre décevant – et encore, il comporte nombre de compositions inespérées.




















Il n’y a encore jamais eu de mauvais album de Foetus. Et il n’y en a toujours pas. Mais pour Hide il faut s’accrocher. Le maître ne nous avait pas malmenés ainsi depuis bien longtemps. Hide, résonne, Hide déborde, Hide symphonise, Hide dégouline. Nous avons droit avec ce neuvième album studio** seulement en presque trente années d’activité à la chose la plus baroque et kitch que J.G. Thirlwell ait jamais composée, interprétée et orchestrée. Le choc initié d’entrée par un Cosmetics de près de neuf minutes est violent. Violent mais sans âpreté : ce qui explique le mouvement naturel de recul, la garde montée et finalement un rejet qui ne dure que le temps d’une infiltration insidieuse d’un venin aux effets inavouables. Car Cosmetics convoque en un tour de main toute la grandiloquence d’œuvres post classiques, au hasard Carmina Burana – cette meringue aussi connue que surestimée a été composée par Carl Orff entre 1935 et 1936, rappelons-le – mais aussi les paillettes d’une fête vénitienne, le pathos d’une dramaturgie germaniste et les mouvements épiques de n’importe quelle musique de film à grand spectacle, que ce soit un western, un film de samouraïs ou une bataille intergalactique (il n’y a au final aucun album de Foetus aussi déraisonnablement cinématographique que Hide). Et puis il y a cette voix, celle de la chanteuse baroque Abby Fischer, qui domine les débats. C’est elle qui chante, c’est elle qui mène la danse. En bon vicelard, Thirlwell se « contente » lui de doubler la voix de la cantatrice avec la sienne. Ce sera comme d’habitude l’un des principes de Hide : les envolées lyriques y sont dévoyées et malades, perverties par toute la science occulte d’un compositeur machiavélique. Plus loin sur d’autres titres comme le maladif Here Comes The Rain Thirlwell préfèrera rehausser d’un même mouvement infecté les violonades à l’aide d’une ligne de synthétiseur décalée ou d’un artifice bruitiste.
Quelques interludes viennent rythmer le disque : la bidouille de Concrete ou ce Fortitudine Vincenus avec chœurs et envolées quasi dissonantes – on est loin des lacérations d’un Krzysztof Penderecki et d’un György Ligeti, celles qu’a utilisées Stanley Kubrick pour Shining mais on semble s’en rapprocher. Une autre particularité de Hide est de comprendre plusieurs balades, qu’elles soient mortuaires (Oilfields curieusement placé avant Here Comes The Rain, déjà évoqué) ou convoquant les fantômes du paradis (Papper Slippers avec une tentative d’imitation de John Lennon assez convaincante). On termine avec un magnifique O Putrid Sun (For Yuko), placé à la fin du disque avec des dégoulineries de piano et de violons à tomber par terre.
Reste le cas très intéressant de The Ballad Of Sisyphus T. Jones où pour la première fois J.G. Thrilwell cite Ennio Morricone aussi visiblement (avec le fidèle Steven Bernstein à la trompette) et Stood Up qui se rapproche, malgré l’omniprésence une nouvelle fois des violons et l’absence de sonorités abrasives, du Foetus que l’on connait le mieux, presque tubesque et entraînant. C’est tout ? Non. Pendant longtemps les albums de Foetus ont été marqués par la présence dans leur tracklisting d’un titre façon big band de jazz/cabaret pervers et halluciné : Descent Into The Inferno sur Nail, Hauss-on-Fah sur Thaw, Slung sur Gash ou Cirrhosis Of The Heart et Heuldoch 7B sur Flow. Avec Hide c’est exactement le contraire. L’album ne comporte qu’un seul tire réellement poisseux et industriel – quelque part entre A Prayer for My Death (de l’album Thaw) et surtout Your Salvation (du EP Butterfly Potion) – qui, s’il ne se débarrasse pas totalement des effets symphoniques parcourant tout l’album, cède soudainement la place au bruit et permet donc à Hide d’être une sorte de miroir inversé de ses prédécesseurs.
Alors que l’on ne reproche surtout pas à Hide d’être un album bordélique et sans homogénéité : tous les albums de Foetus le sont à l’exception notoire de Hole – premier chef d’œuvre de 1983 traversé par la même folie destructrice quel que soit le registre emprunté – et de Love malheureusement un peu fade. J.G. Thirlwell prouve à nouveau qu’il n’y a jamais rien d’évident et d’acquis avec lui. Il prouve aussi et surtout qu’il reste inimitable et unique, vraiment hors de nulle part, naviguant dans un monde aussi composite que délirant.

* il n’y a pas que Jesus Lizard qui utilise des four letter words comme titre d’album, Foetus avait commencé bien avant (1981 et l’album Deaf)
** donc je ne compte pas les live (Rife, Male, Boil, York), les mini albums comme Bedrock, les compilations (Sink, Limb) et autres albums de remix (Blow, Vein) ou d’inédits (Damp)