mercredi 30 juin 2010

J.G. Thirlwell / Manorexia : The Mesopelagic Waters






















La présence de J.G. Thirlwell dans la collection Composer Series du label Tzadik de John Zorn peut faire sourire. Le démiurge génial et allumé de Foetus ne précise t-il pas lui-même qu’il n’est qu’un mauvais instrumentiste et surtout un piètre musicien qui ne sait ni lire ni écrire la musique ? Une affirmation qu’il tenait à nouveau dans N.Y. Foetus, le documentaire (fort malheureusement) à moitié raté que Clément Truffeau avait consacré à J.G. Thirlwell et que l’on peut retrouver dans le DVD accompagnant l’album Limb de Foetus. Comme pour toutes les parutions de la Composer Series, le verso du livret de The Mesopelagic Waters est imprimé d’une partition, en l’occurrence il s’agit de celle de Fluorescent Radiation et elle est bien contresignée J.G. Thirlwell. L’explication est très simple : notre homme n’est pas retourné à l’école de musique, n’a pas appris les règles et les notations du solfège ces deux ou trois dernières années. Mais il a eu recours à une tierce personne assurant la transcription sur papier de la musique née de son cerveau bouillonnant et malade.
Cette façon de faire, J.G. Thirlwell l’avait déjà testé lorsqu’il avait fallu adapter les titres de Steroid Maximus (deux albums instrumentaux au compteur, dans une veine ultra parodique et parus au tout début des années 90 sur le regretté label Big Cat records) pour un grand orchestre de musiciens : c’est Steven Bernstein – trompettiste new-yorkais, membre entre autres de Sex Mob et encore un pote indéfectible de Zorn – qui s’en était plus que brillamment chargé, ajoutant avec ses arrangements osés encore plus de luxuriance démesurée à la folie contagieuse de Thirlwell.
Pour The Mesopelagic Waters notre héro s’est logiquement à nouveau adjoint les services d’un tiers ou plus exactement de deux musiciens différents à savoir Ted Hearne et David Shohl qui se partagent chacun la moitié des titres. Ces deux là sont deux musiciens/compositeurs émérites bardés de diplômes et de références ronflantes. La musique qui en résulte ne donne pas pour autant envie de s’endormir. The Mesopelagic Waters est même le travail le plus fin et le plus délicat de Thirlwell à ce jour et il consiste en une relecture pour ensemble de musique de chambre des compositions présentes sur les deux premiers albums de Manorexia – une énième appellation contrôlée de Jim Foetus et d’où le nom complet de ce disque : Manorexia : The Mesopelagic Waters. Ces deux disques, Volvox Turbo (2001) et The Radiolarian Ooze (2002), Thirlwell les avait sortis sur son propre label, Ectopic Ents, et les vendait (les vend toujours) uniquement sur son site officiel. Surtout, ils représentent ce qu’il a fait de plus orchestral, de plus grandiloquent et de plus magnifié – lui emploie le terme de spatial dans les notes du livret. Il avait donc bien besoin d’aide pour réarranger ces compositions en version petit orchestre de cordes et percussions et n’oublions pas qu’à l’origine, celles-ci sont des assemblages sonores intuitifs, du bricolage sur ordinateur, de la bidouille de savant fou. On peut imaginer que le travail de transcription et d’adaptation a du être franchement ardu.
Finesse de composition mais également finesse d’exécution : avec des musiciens gravitant autour de la scène downtown new-yorkaise, ayant pour certain(e)s collaboré avec Bang On A Can, Wilco ou Jim O’Rourke, les huit compositions de The Mesopelagic Waters tournent parfaitement sans toutefois laisser cette impression de virtuosité froide et calculée qui donne trop souvent envie d’éteindre la boite à musique avant la fin d’une écoute devenue fastidieuse et longuette. Le caractère cinématographique, le suspens musical de la musique de Thirlwell sont ici fort heureusement préservés et – mieux que cela – les qualités mélodiques évidentes de cette musique vous sautent à la figure. Libérées de l’exagération et du brouhaha, dégraissées de toute grandiloquence et de toute complaisante, les compositions de monsieur Jim Thirlwell révèlent alors de véritables petits joyaux aux milles facettes éclairées par la grâce : tout y est si précis mais si imaginatif. Ni musique de film trop décalée parce que ne supportant pas l’absence d’images ni musique contemporaine théorisée et paramétrée, The Mesopelagic Waters conserve le mordant habituel des compositions de Thirlwell tout en leur offrant une profondeur supplémentaire, intime et non dénué d’une tristesse confondante, presque romantique.