mardi 29 juin 2010

Fenn O'Berg / In Stereo























Tandis que j’écoute attentivement au casque et que j’attends patiemment qu’il se passe enfin quelque chose de dramatique ou de drôle dans ce beau disque un peu terne, je pianote sur le moteur de recherche d’une base de données spécialisée pour découvrir combien d’enregistrements et/ou de groupes s’appellent effectivement ou comportent les mots In Stereo dans leur nom. Beaucoup. Fenn O’Berg est la réunion de Christian Fennesz, de Jim O’Rourke et de Peter Rehberg, autrement dit la crème mondiale des bidouilleurs/électromécaniciens/arty/(parfois) improvisateurs qui à partir de la seconde moitié des années 90 avaient peu à peu réussi à se faire une jolie petite place dans le cœur des rockers déboussolés par (au choix) la trentaine, le suicide de Kurt Cobain, le virage sudiste de Metallica, l’avènement de Offspring et de Rage Against The Machine comme symboles de la rébellion adolescente, Bob Dylan massacré par Guns And Roses, l’œil de verre de Marylin Manson, le split de Sonic Youth, celui – encore plus dramatique – de June Of 44, la britpop, la mise en veilleuse d’Amphetamine Reptile records, la mort de Rozz Williams ou la nouvelle chanson française post alterno.
Oval, Scanner, Farmers Manual, Ryoji Ikeda, Alva Noto, General Magic, Pita (c'est-à-dire l’une des appellations de Peter Rehberg) ou même Robert Hampson/Main encore récemment évoqué et j’en passe et des meilleurs étaient synonymes de musique électronique et bidouillée intelligente. Intelligente ? Peut être que non et même surement pas, mais disons quelque chose n’ayant rien à voir avec l’ambiance crusty babloche de la techno légumineuse, pas aussi radical que les saloperies japonaises à la Satanicpornocultshop, plus signifiant que la french touch et pouvant en même temps faire preuve d’une désinvolture salutaire ou d’une poésie ludique lorgnant vers l’absurde – le summum du genre étant les délires pataphysico-colorectals des imbattables Stock, Hausen & Walkman.
Les noms de Markus Popp et d’Oval* sont aujourd’hui presque complètement oubliés et il y a parmi tous ces musiciens – impossible de parler d’une scène, ce carcan bien trop limitatif – certains qui se sont habilement spécialisés dans ce que l’on appellera pudiquement le design sonore ou (mieux) la bande son de spectacles (de danse par exemple, comme Peter Rehberg en solo ou au sein de KTL). Il y en a même qui, possédant plus d’une corde à leur arc et sachant jouer d’un vrai instrument en bois, en plastique et en métal, alternent entre laptop et musique conventionnelle, c’est justement le cas de Jim O’Rourke qui depuis plus de vingt ans fait des aller-et-retours entre les deux et s’est encore fait remarquer avec son très acoustique The Visitor à la fin de l’année 2009. Comme d’habitude, tout ceci n’a été qu’un feu de paille, limite une vue de l’esprit, c’est bien après que l’on peut se permettre de rapprocher tel musicien de tel autre, d’oser les comparaisons, de tirer des bilans approximatifs et réducteurs.

C’est donc avec un certain recul que l’on écoute In Stereo, troisième album de Fenn O’Berg, et il serait facile mais tentant de dire que le groupe sonne désormais comme une réunion d’anciens combattants. Le trio n’avait rien publié depuis The Return Of Fenn O’Berg en 2002, deuxième album ayant eu la lourde charge de succéder à The Magic Sound Of Fenn O’Berg (1999) – à noter que ces deux albums ont été réédités courant 2009 avec bonus et remastering, également aux Editions Mego (le label que Peter Rehberg a fondé après la faillite de Mego records, reprenant au passage tout le back catalogue). Les deux premiers étaient de cette veine rigolote et décalée, on ne se prend pas au sérieux mais on essaie de le faire correctement quand même, à base de bruits parasitaires, d’accidents sonores, de samples détournés et de blagues de potaches. In Stereo est bien plus sérieux que ses deux prédécesseurs, moins vivace aussi, et surtout enregistré en studio à Tokyo alors que les deux premiers étaient des collections de performances live enregistrées à travers le monde. Beaucoup plus de travail de mise à plat, d’agencement. Le concept Fenn O’Berg – si concept il y a mais tant pis : trois musiciens aux natures très différentes improvisant ensemble pour le meilleur ou pour le pire – donc le concept n’est plus exactement le même, la rigidité remplace ça et là la spontanéité.
Des moments d’amusement ou d’effarement il y en a pourtant comme le dialogue de bourbons péteurs sur IV, les roulements de batterie samplés de I, le carillon Star Wars en intro de VII. In Stereo, bien plus écoutable que ses deux prédécesseurs parce que nettement moins atomisé est aussi (paradoxalement ?) le moins passionnant des trois. Un certain académisme de l’expérimental avec en sous-texte une orientation plus méditative, plus psychédélique (III et V) et logiquement un confort d’écoute qui fait que sur la longueur, on risque bien de céder à la paresse et de revenir plus souvent sur In Stereo qu’on ne le pensait au départ. Un disque parfait pour se soigner une entorse aux vertèbres cervicales ou une bonne cuite, cela dit.

* lequel fait son grand retour en 2010 avec un EP et un album complet, on en reparlera…