vendredi 25 décembre 2009

Crëvecoeur / # I & # II


J’ai enfin trouvé mon disque de noël. Non pas un disque pour faire peur aux enfants et à leurs parents trop attentionnés en ce jour maudit de dictature du bonheur consumériste, de bouffe jusqu’aux oreilles, d’angélisme hypocrite, de relations familiales décomposées et de vagues souvenirs d’une religion archaïque (qui elle-même s’est réapproprié la date du solstice d’hiver autrefois célébré par des vilains barbares sanguinaires et ignorants) mais un disque de calme en trompe-l’œil et de rêverie lointaine, un disque de voyage, le meilleur moyen pour ne plus être tout à fait là, surtout pas à un endroit précis à un moment précis, un peu partout en même temps, tout comme cette ordure de Père Noël et sa hotte magique remplie de hochets et d’entraves en plastique, lui piquer sa place de branleur impérieux et ne rien en faire, l’égoïsme de l’individu à l’état pur contre l’illusion d’un bonheur collectif.
Ce disque ne date pas d’hier, il s’agit de la réédition chez Denovali et en double LP des deux premiers albums de Crëvecoeur. Un très bel objet né de l’imagination de quelques illuminés à l’occasion de la parution du deuxième album du groupe, fin 2008. Moi : euh, vous allez faire une version en vinyle de ce disque ? Le type du label : peut être que oui, peut être que non, en fait on sait pas, on envisage peut être de sortir un double avec les deux albums dessus. Alors j’ai attendu. Attendu. Puis j’ai oublié. Les mois ont passé et ce disque est arrivé. Il a fini par atterrir sur la platine. Une pochette gatefold avec un dessin que je n’aime pas mais dont le rendu est magnifié par la qualité de l’impression et du carton employé, une galette rose pâle et une galette blanche laiteuse – exactement le genre d’objet qui réveille la fille qui sommeille en moi.























Disque rose fillette : l’album # 1, initialement chez Drella records en 2007 (c’était en fait une autoproduction, non ?), enregistré à trois et au long court entre 2003 et 2006, Nancy et Paris. Un album qui sent bon le mijotage, le polissage, l’enregistrement sur un coin de table au petit matin et qui révèle un sens du détail et de l’arrangement proche de la sophistication derrière une apparente simplicité. Mélodies belles et limpides, ambiances morriconiennes et acidulées, violon tire-larmes, guitare slide en forme de tapis volant, rythmiques légères (et encore, quand il y en a), synthé piquant et cheap, xylophone cristallin : le rock cinématographique et instrumental de Crëvecoeur se révèle toujours être une formidable machine à rêves, évitant à la fois le côté désuet, pathétique et trop illustratif que l’on aurait pu craindre d’une telle entreprise. Petit détail qui fait plaisir, le dernier titre qui apparaissait sur le CD longtemps après la fin supposée du disque et après de longues minutes de pluies d’orage est aussi sur le LP, également après quelques coups de tonnerre, magnifique final d’un disque qui se révèle encore meilleur avec le temps.
Disque blanc crème : l’album # 2, sorti en 2008 et en CD, déjà par Denovali. Un disque aux accents beaucoup plus ensoleillés, épicés si j’osais, mais toujours avec ce petit je-ne-sais-quoi, comme un léger pincement au cœur. Le violon n’y est absolument pas étranger (La Pieuvre et Carnavalse), le synthé ou la scie musicale non plus. # 2 accentue le côté western intimiste du trio – quelque part entre Sergio Leone et Jim Jarmush si on veut – et Crëvecoeur se veut plus ambitieux, vise plus haut, le technicolor est de la partie, le grand angle aussi, les tacos sont fourrés d’un subtil mélange peyotl/ganja, la nuit est lumineuse, son silence est plein de bruissements. A l’écoute de la version LP de ce deuxième album, ceux qui au départ avaient été quelque peu déçus (ce qui n’avait absolument pas été mon cas) ne peuvent que réviser à la hausse leur jugement – # 2 est peut être moins attachant que # 1 mais il a bien plus de classe et de rendu. De toutes façons ces deux albums finissent par aboutir au même résultat : Crëvecoeur est l’un des rares groupes qui donne le vague à l’âme sans refiler le mal de mer en même temps. Définitivement ailleurs. Et ce n’est pas le Père Noël qui a déposé ce double album dans mes gros souliers.