jeudi 24 janvier 2013

Peter Brötzmann / Solo + Trio Roma




PETER BRÖTZMANN a atteint l’âge canonique des 70 ans en mars 2011 ; et depuis plus de quarante-cinq ans le saxophoniste continue d’éclairer le free jazz européen et même mondial. Peter Brötzmann fait-il vraiment de l’ombre aux autres musiciens et empêche-t-il de nouveaux talents d’apparaitre ? Non, je ne le crois pas. Brötzmann a toujours partagé avec les autres, reprenant dans un cadre encore plus collectiviste les préceptes d’échanges participatifs et de jams issus du jazz – oui, il s’agissait bien, et il s’agit toujours, de militantisme (au sens politique du terme). Que Peter Brötzmann soit une sorte de monstre sacré et de gardien du temple n’est pas un mal mais un fait établi : ce géant représente tout simplement un genre musical qu’il a très largement contribué à développer en Europe à partir des années 60 ; sa personne est presque indissociable de la notion de free jazz, statut qu’il partage avec des gens comme Evan Parker, le regretté Peter Kowald, Sven-Åke Johansson, Han Bennink, Alexander von Schlippenbach, Misha Mengelberg, etc.
Avec le temps le free jazz est devenu une musique sérieuse et institutionnalisée, porteuse d’une tradition, de codes et de préceptes que Peter Brötzmann défend toujours aujourd’hui. Mais sa musique est restée toujours aussi sauvage – violente parfois – et le vieux sage mérite toujours ce surnom de Machine Gun (également le titre de son album le plus célèbre en 1968), un surnom que lui aurait donné Don Cherry. La preuve avec Solo + Trio Roma, un disque qui a été enregistré lors de la 27ème édition du Festival International de Musique Actuelle de Victoriaville (Québec) qui cette année là avait décidé de fêter dignement le 70ème anniversaire de Brötzmann. Le premier disque est un solo est il est littéralement époustouflant. Même si on peut penser qu’avec le temps Brötzmann a perdu de sa superbe et de son souffle primal, sa performance est ici inoubliable mais elle l’est d’autant plus que Brötzmann en solo explore toujours des territoires où les nuances prédominent plus que lorsqu’il joue accompagné. Derrière le colosse du saxophone, le poète des sons ; et l’hommage/reprise en fin de disque du Lonely Woman d’Ornette Coleman est bouleversant de sensibilité. De fois il fait vraiment bon vieillir.
Le deuxième disque a été enregistré en trio avec une section rythmique de choix : Massimo Pupillo (Zu) à la basse électrique et Paal Nilsson-Love (The Thing et tellement d’autres choses) à la batterie. Les deux hommes se connaissent bien puisqu’ils jouent également ensemble au sein d’Offonoff (avec Terrie Ex) et qu’ils constituent la section rythmique de Hairy Bones, quartet avec Peter Brötzmann et le trompettiste Toshinori Kondo.
Trio Roma représente le cahier des charges habituel de Brötzmann et la raison qui fait que l’on se déplace encore beaucoup pour l’entendre jouer : ça pulse, tout simplement. Nilsson-Love est un batteur aussi puissant qu’imaginatif (il joue régulièrement avec le saxophoniste) et Pupillo donne cette dose d’électricité dont Brötzmann a raffolé tout au long de sa carrière (avec Sonny Sharrock, son fils Caspar, au sein de Full Blast, etc.) ; même si le bassiste italien a un jeu limité par rapport aux deux autres musiciens – ça se comprend – il remplit parfaitement son rôle. Trio Roma est bien ce maelstrom attendu et espéré, bien que traversé par quelques passages calmes mais nécessaires pour ne pas mourir asphyxié. Mais que la réussite de ce disque brillamment foutraque n’empêche toutefois pas d’écouter le premier Solo car Peter Brötzmann le mérite, plus que jamais.

Solo + Trio Roma est publié sous la forme d’un double CD digipak par les disques Victo : comme d’habitude l’artwork a été réalisé par Brötzmann lui-même.