PETER BRÖTZMANN a atteint l’âge canonique des 70 ans en mars 2011 ; et
depuis plus de quarante-cinq ans le saxophoniste continue d’éclairer le free
jazz européen et même mondial. Peter Brötzmann fait-il vraiment de l’ombre aux
autres musiciens et empêche-t-il de nouveaux talents d’apparaitre ? Non,
je ne le crois pas. Brötzmann a toujours partagé avec les autres, reprenant
dans un cadre encore plus collectiviste les préceptes d’échanges participatifs et
de jams issus du jazz – oui, il s’agissait bien, et il s’agit toujours, de
militantisme (au sens politique du terme). Que Peter Brötzmann soit une sorte
de monstre sacré et de gardien du temple n’est pas un mal mais un fait
établi : ce géant représente tout simplement un genre musical qu’il a très
largement contribué à développer en Europe à partir des années 60 ; sa
personne est presque indissociable de la notion de free jazz, statut qu’il
partage avec des gens comme Evan Parker, le regretté Peter Kowald, Sven-Åke
Johansson, Han Bennink, Alexander von Schlippenbach, Misha Mengelberg, etc.
Avec le temps le free jazz est devenu une musique
sérieuse et institutionnalisée, porteuse d’une tradition, de codes et de
préceptes que Peter Brötzmann défend toujours aujourd’hui. Mais sa musique est
restée toujours aussi sauvage – violente parfois – et le vieux sage mérite
toujours ce surnom de Machine Gun (également le titre de son album le plus
célèbre en 1968), un surnom que lui aurait donné Don Cherry. La preuve avec Solo + Trio Roma, un disque qui a été
enregistré lors de la 27ème édition du Festival International de
Musique Actuelle de Victoriaville (Québec) qui cette année là avait décidé de
fêter dignement le 70ème anniversaire de Brötzmann. Le premier
disque est un solo est il est littéralement époustouflant. Même si on peut
penser qu’avec le temps Brötzmann a perdu de sa superbe et de son souffle
primal, sa performance est ici inoubliable mais elle l’est d’autant plus que
Brötzmann en solo explore toujours des territoires où les nuances prédominent
plus que lorsqu’il joue accompagné. Derrière le colosse du saxophone, le poète
des sons ; et l’hommage/reprise en fin de disque du Lonely Woman d’Ornette Coleman est
bouleversant de sensibilité. De fois il fait vraiment bon vieillir.
Le deuxième disque a été enregistré en trio avec
une section rythmique de choix : Massimo Pupillo (Zu) à la basse
électrique et Paal Nilsson-Love (The Thing et tellement d’autres choses) à la
batterie. Les deux hommes se connaissent bien puisqu’ils jouent également
ensemble au sein d’Offonoff (avec Terrie Ex) et qu’ils constituent la section
rythmique de Hairy Bones, quartet avec Peter Brötzmann et le trompettiste Toshinori
Kondo.
Trio Roma
représente le cahier des charges habituel de Brötzmann et la raison qui fait
que l’on se déplace encore beaucoup pour l’entendre jouer : ça pulse, tout
simplement. Nilsson-Love est un batteur aussi puissant qu’imaginatif (il joue
régulièrement avec le saxophoniste) et Pupillo donne cette dose d’électricité
dont Brötzmann a raffolé tout au long de sa carrière (avec Sonny Sharrock, son
fils Caspar, au sein de Full Blast, etc.) ; même si le bassiste italien a
un jeu limité par rapport aux deux autres musiciens – ça se comprend – il
remplit parfaitement son rôle. Trio Roma
est bien ce maelstrom attendu et espéré, bien que traversé par quelques
passages calmes mais nécessaires pour ne pas mourir asphyxié. Mais que la
réussite de ce disque brillamment foutraque n’empêche toutefois pas d’écouter le
premier Solo car Peter Brötzmann le
mérite, plus que jamais.
Solo + Trio
Roma est publié sous la forme d’un double CD digipak par les disques Victo : comme d’habitude l’artwork a
été réalisé par Brötzmann lui-même.