Le Kraspek Myzik. Cela fait une éternité que je n’ai pas assisté à un concert dans ce lieu… Ou plus précisément il m’arrivait parfois de m’y rendre au siècle dernier ou au début de celui-ci lorsque l’endroit s’appelait encore le [kafé myzik] et était tenu par une équipe de passionnés* qui ont tout fait pour le pérenniser. C’était exactement à l’époque où l’hygiénisme urbain a commencé à faire des ravages sur Lyon, où les prix de l’immobilier ont aussi commencé à exploser, ou des gens ne sachant pas quoi faire de leur argent ont acheté des beaux appartements de Canuts** avant de s’apercevoir que le quartier de la Croix-Rousse avait une vraie vie nocturne assez intense et passionnante.
Elle est banale l’histoire du gros con qui achète à prix d’or un bel appart avant de constater qu’il y a une mini salle de concert dans le même immeuble et d’entreprendre toutes les démarches nécessaires pour faire fermer le lieu ou limiter son activité au strict minimum. Avec bien sûr l’assentiment des élus locaux, trop fier d’eux-mêmes et de transformer un ancien quartier populo en musée et en ghetto de parvenus – je me rappelle d’un ancien maire du 1er arrondissement de Lyon qui avait fait toute sa campagne en allant serrer des mains dans les bistrots le soir et qui une fois élu avait permis qu’ils soient fermés un à un. C’est ce qui est arrivé au [kafé myzik] dans sa forme originelle… Ce fiasco fut aussi l’un des points de départ de l’aventure Grrrnd Zero.
Mais le lieu n’a pas entièrement fermé. Devenu Kraspek, il a été transformé et une nouvelle équipe, passionnée elle aussi et sûrement un peu inconsciente voire téméraire, a remplacé l’autre il y a quelques années. L’étage est désormais réservé à des bureaux – je me souviens d’y avoir assisté à un concert de Love’s Holiday (le duo acoustique Eugene Robinson/Niko Wenner) venu présenter le documentaire Music For Adults consacré à Oxbow. Fini aussi les concerts électriques… là encore je me rappelle d’un fabuleux concert d’Oxes pendant lequel les deux guitaristes du groupe s’étaient échappés de la salle (grâce à leur dispositif sans fil) et s’étaient mis à courser les voitures Montée St Sébastien tout en continuant à jouer !
Mais heureusement aussi que les temps changent. Après avoir été contraint de n’organiser que des concerts non bruyants voire totalement acoustiques, le Kraspek semble reprendre un peu du poil de la bête. Ce qui explique que désormais – et jusqu’à quand ? – le lieu peut à nouveau donner dans l’électrique. Peut-être une alternative après l’arrêt momentané de Grrrnd Zero mais surtout un pis-aller : le Kraspek c’est vraiment tout petit, si on n’est pas devant on voit rien et le son n’est pas terrifiant de qualité. Et il m’a semblé que nombre de personnes présentes en ce samedi soir ne s’étaient pas déplacées en connaissance de cause mais étaient simplement sorties dans un lieu situé sur les pentes de la Croix-Rousse.
En ce qui me concerne si Sheik Anorak n’avait pas été programmé ce jour là au Kraspek, je n’y serais sans doute toujours pas retourné après toutes ces longues années… malheureusement Sheik Anorak a sûrement donné en cette occasion le moins bon concert venant de sa part auquel j’ai jamais assisté. Pas très à l’aise, avouant de lui-même être « laborieux » notre héro n’a pourtant pas démérité – il a chaudement été applaudi, comme quoi un mauvais concert de Sheik Anorak se révèle toujours au dessus de la moyenne – et il a en plus enchainé les incidents techniques (le coup de la cymbale volante était réellement spectaculaire). Il n’empêche que la musique de Sheik Anorak est toujours une machine à tubes et que le « nouveau » titre chanté est un vrai régal.
Ce sont les suisses de Disco Doom qui ont ensuite pris possession de la minuscule scène du Kraspek. Après un temps infini consacré à résoudre un problème de micro, le concert a enfin pu commencer. L’écoute préalable des enregistrements de Disco Doom ne m’avait guère convaincu. Les premiers titres joués à ce concert non plus : la pop geignarde et noisy du groupe – avec chant trainant à souhait – n’est pas vraiment ma tasse de thé et lorsque le groupe est passé à la vitesse supérieure et a flirté avec une noise beaucoup plus virulente (pensez au Sonic Youth de Sister) je n’ai guère été emballé non plus. De toute façon j’avais décidé de ne faire aucun effort.
Tout simplement parce que j’avais également plus ou moins rendez-vous avec un couple de parisiens en goguette plus quelques autres connaissances locales mais tout aussi assoiffées et que tous ensembles nous avons décidé d’aller boire des bières ailleurs. La soirée s’est donc terminée de manière nettement plus satisfaisante et bordélique.
* notamment on ne dira jamais assez tout ce que Damien Grange – musicien bien connu ici – a entrepris et enduré pour le [kafé mysik]
** historiquement ceux-ci étaient occupés par des ouvriers textiles qui y travaillaient et y vivaient en famille, de nos jours on qualifierait pudiquement ce genre d’habitations de logements sociaux alors que c’est devenu le nec plus ultra du chic bobo-écolo.