Univrs est quelque chose comme le huitième album solo d’Alva Noto à ce jour – on ne compte donc pas les multiples collaborations du musicien d’origine est-allemande ni tous les disques qu’il a enregistrés sous différents alias ou sous son vrai nom, Carstein Nicolai – et surtout Univrs est une excellente surprise. Le patron de Raster-Noton a de la ressource. Mieux que ça : Carsten Nicolai/Alva Noto s’impose définitivement comme le seul maitre à bord de ce courant aride et hyper cérébral au sein des musiques électroniques, courant difficile à nommer et qu’il a largement contribué à faire émerger il y a plus de dix ans dans le sillage du japonais Ryoji Ikeda. Mais aujourd’hui Ryoji Ikeda se concentre tout autant sur les sons que sur les images et ses derniers travaux, plus que jamais, ne semblent plus pouvoir se passer d’un accompagnement visuel à la démesure de sa musique segmentée et matricielle.
Alva Noto gagne au contraire et une nouvelle fois le pari difficile du home listening. Excellente compilation de musiques plutôt ambient (mais pas que) conçues pour des installations sonores ou autres évènements publiée en 2010 sur le label américain Line, For 2 se singularisait déjà par un étonnant confort d’écoute et une homogénéité grandissante malgré la diversité des matériaux collectés. Alors, lorsqu’un véritable album comme Univrs, pensé et enregistré en tant que tel, débarque enfin, plus de deux ans après Xerox Vol 2, on ne peut qu’acquiescer devant la science des séquences (alors qu’Alva Noto n’utilise pas de séquenceurs à proprement parler), des rythmes et des sons du musicien. Car Alva Noto s’est littéralement surpassé ici, tout en essayant de faire avancer les choses.
Bien sûr on connait à l’avance tous les ingrédients mis en œuvre et ajustés sur Univrs. Ces sons froids, ces fréquences grésillantes, ces constructions algorythmées, ces cliquetis accidentels, ces échos radar, ces ondes polaires… même le poète sonore Anne-James Chaton est à nouveau de la partie pour un Uni Acronym sur lequel il déclame de sa voix la plus neutre et robotique possible des acronymes de trois lettres, les énumérant absurdement en suivant l’ordre alphabétique et procédant par glissement, changeant une ou deux lettres sur trois à chaque fois et jouant ainsi avec la phonétique des sons comme il sait si bien le faire.
Univrs pourrait ainsi être le simple successeur en mode copier/coller de Unitxt, publié en 2008. Comme Unitxt, Univrs est avant une histoire de rythmes et de séquences hachées. Or Univrs, bien que gardant tout le côté froid de la musique d’Alva Noto, est un disque bien plus accessible. On osera même parler d’un disque presque dansant – la danse fracturée des blocs de glace, bien sûr – car les rythmes y sont toujours plus présents, très appuyés, formant des structures très évidentes et non plus des parois abruptes et infranchissables. Les compositions sont presque uniquement à base de rythmiques omniprésentes et implacables mais certaines jouent en parallèle bien que discrètement sur la profondeur des sons (Uni C, Uni Rc – à la limite de la techno minimale et avec la participation d’un certain Martin L. Gore –, le génial et tout aussi minimal Uni Dia, Uni Mode, Uni Syc ou Uni Pro), ce qui accentue encore plus le côté home listening et pénétrant du disque. Car Univrs a cette capacité à tout envahir, englober même tout ce qui nous entoure et provoquer des sensations enivrantes, posant comme unique repère central l’équilibre spatial entre rythmes et sons, les deux œuvrant pour une symbiose digitale et dans un même mouvement entre simplicité et complexité, immédiateté cinétique et exigence froide. Une magnifique architecture sonore, entre lumières filtrées et charpentes translucides.