On n’a jamais très bien suivi les aventures de David
Letellier AKA Kangding Ray, un
français installé depuis belle lurette à Berlin et parait-il architecte de
formation. On s’en fout un peu beaucoup que le monsieur soit
architecte dans la vraie vie ? Peut être pas tant que ça, à l’écoute de Or, déjà son troisième album et le
troisième également en compagnie du label Raster-Noton.
Annoncé par Pruitt Igoe, un EP vinyle
publié fin 2010, Or va encore plus
loin dans la direction d’une musique électronique enveloppante, très
travaillée, étayée de toutes parts et faisant la part belle à des habillages
qui n’ont rien à voir avec les cache-sexes habituels.
Kangding Ray a toujours plutôt dénoté avec
l’ensemble du catalogue Raster-Noton. Avec Or
cela ne s’arrange absolument pas, on pourrait imaginer Kangding Ray plutôt sur
un label tel que Hymen records, Ad Noiseam ou même – pourquoi pas ? – Ant
Zen, avec cet équilibre parfait entre froideur digitale et musicalité, rythmes
complexifiés et fluidité des compositions, machines omniprésentes et parties
chantées. Car oui, il y a des parties chantées sur Or, et pas qu’une seule : cela va des vocaux éthérés d’un Athem aux véritables paroles d’un Pruitt Igoe. Et au passage
intéressons-nous d’un peu plus près à ce titre aux ambiances très inquiétantes :
Pruitt Igoe fait référence à une cité
urbaine érigée dans les années 50 à Saint-Louis (Missouri) et sciemment coupée
en deux car les lois ségrégationnistes avaient encore cours à ce moment là aux
Etats Unis. D’un côté les blancs et de l’autre les noirs. Pruitt Igoe a fini complètement démoli au milieu des années 70,
après avoir coûté une fortune, échec patent d’une politique du logement « social »
et d’un urbanisme pourtant salué à l’époque de la construction de la cité comme
des plus novateurs*.
La politique et le débat d’idées ne sont donc pas
absents de Or alors que d’ordinaire
voilà des préoccupations secondaires dans le monde plutôt onaniste et
recroquevillé des musiques électroniques actuelles. On en vient à se demander
si le titre même du disque désigne la richesse (comme le laisse supposé la
dorure envahissante du livret) ou l’altérité (« ou », en rapport également
avec le ségrégationnisme du projet Pruitt
Igoe). Peut être bien les deux, ce qui sous-entendrait une vision très
critique du monde dominé par l’accumulation de richesses et la segmentation/répression
des sociétés – l’une se nourrissante de l’autre –, une vision que je ne peux hélas
que partager.
Mais je m’égare très certainement parce que le
reste du disque semble bien moins sujet aux considérations philosophiques,
idéologiques et politiques – ou peut-être que je n’ai pas su retrouver les
bonnes références mais des titres tels que Mojave,
Coracoïd Process, En Amaryllis Jour ou La Belle sont avant toute chose emprunts
d’une réelle poésie, non ? Et de la poésie il s’en échappe de ce disque à
chacune des secondes qui s’écoule. Elle est parfois très inquiétante, très
sombre, mais elle est irrésistible. Et surtout, plus on découvre Or, plus on se persuade d’écouter à
nouveau et enfin quelque chose de vraiment frais en matière de musiques
électroniques. Voici le meilleur disque du genre pour l’année 2011. Le plus
subtil aussi. Et l’un des plus beaux.
* pour plus d’informations, je vous renvoie
directement à la lecture
de ce texte du sociologue Thomas Watkin – non ne me remerciez surtout pas