Dans un monde presque parfait, plutôt agréable à vivre et sans trop de soucis, on pourrait laisser filer la vie sans être toujours forcé de faire quelque chose de nécessairement utile, on pourrait rêvasser en regardant comme bon nous semble les nuages ou l’eau des rivières qui coule, on ne provoquerait pas systématiquement la défiance chez l’autre (et réciproquement), on pourrait insulter dieu – ou quoi que ce soit d’autre – tout comme il nous insulte, nous, tous les jours, on pourrait qualifier Glaude Guéant d’immonde fasciste* sans pour autant finir condamné devant un tribunal, le porno vintage des années 70 serait à nouveau le top de l’esthétique postmoderne, Kim Gordon aurait 30 ans de moins, habiterait sur le même pallier et n’aurait jamais rencontré Thurston Moore, le CD n’aurait pas été inventé, le mp3 non plus, on aurait appris à transformer les contradictions humaines ainsi que toute forme d’idéalisme en énergie renouvelable pour alimenter en électricité nos boites à musique, fumer ne provoquerait pas le cancer des bronches, picoler n’engendrerait pas de cirrhose, les straight edges assumeraient enfin leur homosexualité refoulée, Anal Cunt n’aurait pas été déprogrammé de l’édition 2011 du Hellfest, et – surtout – toute trace d’angélisme aurait disparu de ce blog que présentement tu perds ton temps à lire ainsi que de la surface de la terre avant que celle-ci n’explose fatalement d’ennui ou de colère face à tant de connerie humaine.
A non, j’ai oublié : il y aurait aussi un bon concert de noise au moins une fois par semaine, un concert avec des guitares qui cisaillent, des batteurs qui frappent et des gens qui hurlent. Mais ce n’est pas le cas. On vit entre la haine de travailler et la peur de crever de faim, on élit des sous-merdes de droite comme de gauche, on vote comme on oublie, on consomme pour exister, on se tue pour survivre, on finit par se détester soi-même et c’est bien le maximum si dans cette bonne vieille ville de Lyon – qualité, savoir-faire, tradition – il y a un seul concert qui défouraille tous les deux mois.
Cela tombe bien, valeureux petit ennemi des vieux beaux hawaïens ou des curés mormons, puisque en ce mercredi 30 novembre au Sonic il y avait une affiche 100% noise rock et/ou guitares, une affiche proposée par la doublette infernale de bYgoût records : Oxen Coax, Nitkowski et Silent Front. Wow ! Cette affiche c’est exactement ça que je voulais dire en parlant de concert qui défouraille.
Jamais entendu parler d’Oxen Coax auparavant mais dans le line-up de ce trio on retrouve deux membres de Torticoli : l’un des deux guitaristes et le batteur. On remarque aussi une chanteuse qui tente de bien tenir sa place malgré un peu de stress apparent. Plus carrée et mélodique (ahem) que celle de Torticoli, la musique d’Oxen Coax n’en est pas moins bien barrée et ébouriffante. On apprécie à nouveau ce guitariste inventif et surtout ce batteur que l’on pourrait regarder jouer pendant des heures, rien que pour le plaisir. L’équilibre entre les instruments est plutôt réussi, on ne regrette pas l’absence d’une basse ou d’une deuxième guitare, et il laisse le champ libre pour la voix, voix assez typique d’un croisement entre vindicte et lyrisme – non je ne prononcerai pas le nom d’Heliogabale.
Une petite fantaisie pour la route ? La chanteuse passe alors derrière la batterie, le batteur prend une guitare et c’est parti pour un titre instrumental dissonant à souhait. Encore une ? La chanteuse revient derrière son micro mais prend une basse alors que le guitariste s’approche d’un second micro : ce titre là sera chanté à deux voix. Ces deux morceaux ne sont pas forcément moins bons que les autres mais ils ont le défaut de trop casser le rythme et la dynamique du concert d’Oxen Coax. Le groupe reprend enfin sa forme originelle pour un dernier titre, sûrement le meilleur qu’il aura interprété ce soir là et sur lequel le groupe se lâche vraiment.
Les trois Nitkowski s’installent ensuite. Alors que le batteur reste en haut mais a rapproché son kit le plus près possible du bord de la scène, les deux guitaristes restent au sol avec leurs amplis et leurs micros pour le chant orientés de biais par rapport à la scène – ce qui signifie qu’ils chanteront hurleront systématiquement en tournant le dos au public, positionnement qu’ils adopteront également assez souvent lorsqu’ils ne feront que jouer de la guitare. Nitkowski est donc adepte de la configuration en triangle et du circuit (presque) fermé.
Le groupe n’a pas voulu faire de balance en arrivant. Il préfère jouer à l’arrache, tout à l’énergie ce qui peut être une bonne idée vu le côté chien fou de sa musique mais cela le dessert également puisque le côté trigonométrique de celle-ci en pâtit aussi grandement. Toutes les subtilités des compositions du dernier album Stay In The Home You Love passent trop au second plan et donc on se demande pourquoi les deux guitaristes prennent autant de temps à se réaccorder tous les deux titres alors que cela ne semble pas en valoir la peine. Sinon on assiste à un concert furieux et tendu, ce qui semble être l’unique but de Nitkowski dès que le groupe joue devant un public. De ce côté-là, c’est réussi.
Avec Silent Front, pas de problèmes de mise en place et d’accordage. Le trio va droit au but et expédie avec toute la hargne qu’on lui connait son répertoire noise véritablement taillé pour la scène. Le groupe annonce des nouveaux titres et les nouveaux titres sont à l’image des plus anciens, directement dans le lard. On se surprend alors à regretter encore une fois que Silent Front n’ait pas réussi à négocier comme il aurait fallu le virage de l’album studio. Ce n’est pas vraiment un secret que Dead Lake est un semi-ratage générant déception et frustration lorsqu’on connait tout ce dont Silent Front est pourtant capable de faire sur une scène.
Encore une fois ce soir le trio londonien a tout arraché sur son passage, sans pitié mais avec une simplicité, une générosité et une volubilité que l’on aimerait bien rencontrer un peu plus souvent lorsqu’on assiste à un concert. Voilà un groupe qui ne fait pas semblant et voilà sûrement la raison pour laquelle un enregistrement studio classique ne peut pas lui convenir – s’il vous plait les gars, par pitié même, pour le prochain disque, faites donc une captation live et en prise directe, avec un son bien crade et qui bave de tous les côtés.
* ce n’est qu’un exemple, bien sûr