C’est dimanche et on s’emmerde. Alors on écoute Assyrian Vertigo, le troisième album (double) de PICORE… Ah ! j’en vois déjà qui se trémoussent de bonheur rien qu’à l’évocation de ce nom mais je vais me faire un plaisir de les refroidir immédiatement : ce Picore là n’a strictement rien à voir avec le groupe espagnol homonyme mais est lui d’origine tout ce qu’il y a de plus lyonnaise. Il navigue même au sein de la nébuleuse Jarring Effects. Alors ne partez pas, le groupe dont on va vous parler ici et maintenant mérite amplement toute votre attention.
Après un long silence – L’Helium Du Peuple, le deuxième album de Picore, datant déjà de 2006 – le groupe est de retour avec une formation quelque peu remaniée (un batteur/percussionniste en plus) et des idées à revendre. Picore peut en effet se vanter d’une particularité bien à lui : son line-up est assez inhabituel puisqu’il comprend de la guitare, des machines, des voix, des percussions, des instruments à vents (trompette, clarinette)… mais chaque musicien/intervenant au sein de Picore ne se contente pas d’un instrument de prédilection, tout le monde ici s’essaie à un moment ou à un autre à d’autres expériences. Rien n’est fixé, rien n’est formaté, tout reste à faire. Ainsi la musique du groupe devient forcément étrangère à tout référencement ou plus exactement les références se bousculent dans notre tête à l’écoute d’Assyrian Vertigo : il y a de l’indus chez Picore, du hip-hop, de la noise, du post rock, du post punk, de l’électro et sûrement beaucoup d’autres choses.
Avec sa conception très cinématographique, on a même failli écrire cinétique tellement on se sent ici embarqués dans une suite sans fin de mouvements irrésistibles, Assyrian Vertigo est à l’image du groupe qui l’a conçu : riche, varié, étonnant, détonnant, perturbant, inclassable et tout bonnement haletant. Loin d’être un enregistrement unidimensionnel, ce double album n’en finit pas de ravir et de réactiver quelques vieux souvenirs tout en ayant à la fois l’élégance et le talent de ne pas se reposer dessus – certaines parties peuvent faire penser au Bästard de Radiant, Discharged, Crossed-Off, d’autres évoquent irrémédiablement Hint (désormais compagnons de label de Picore depuis qu’ils se sont plus ou moins reformés) et on pense également à tout ce « courant » multiforme qui vers la deuxième moitié des années 90 alliait abrasivité issue de l’indus ou même parfois de la noise avec la répétitivité entêtante d’une musique électronique lourde puisant son venin dans quelques racines dub (cf les compilations Electric Ladyland sur le label Mille Plateaux avec Techno Animal, DJ Spooky, Ice, etc).
Assyrian Vertigo évite toutefois la confrontation systématique et privilégie largement la déambulation, les couloirs secrets, défonce les portes murées et les tours d’ivoire et charcle sévèrement à l’occasion. Il est surtout très inhabituel ces jours-ci de pouvoir enfin écouter un groupe et une musique œuvrant dans l’atmosphérique plombé qui ne fasse pas directement référence aux musiques expérimentales des années 60 et 70. Je dirais même qu’en plus de reposer, cela fait grandement du bien.
Le deuxième disque d’Assyrian Vertigo est un remix complet de l’album : il y a autant d’intervenant qu’il y a de titres. Exercice en général plutôt casse-gueule, cette version remaniée du disque s’en sort plus que pas mal, il faut préciser aussi que le générique comprend quelques grands noms et quelques seconds couteaux de qualité. Evidemment certains n’ont pas pu s’empêcher de faire un peu n’importe quoi (comme Aucan qui fait juste du Aucan c'est-à-dire de l’électro très bas de gamme).
Assyrian Vertigo a été publié en double CD et, depuis peu, en double vinyle par Jarring Effects. Pour les fétichistes on conseillera évidemment le double LP parce qu’il est fatalement très beau et qu’en plus il ne comporte pas les remix (sauf si vous vous servez du coupon mp3 qui va avec…).