jeudi 21 février 2013

Tom Bodlin / Spit In The Air And Take Out Your Umbrella


Ça, c’est vraiment un petit jeu que j’adorais pratiquer quand j’étais gosse : cracher en l’air pour regarder mes molards retomber. Un petit jeu qui a rapidement été perfectionné : se balader entre potes dans la rue, cracher en l’air puis se mettre à courir – celui qui n’avait pas compris tout de suite pourquoi tous les autres se barraient sans prévenir dans toutes les directions possibles avait une chance sur deux de se prendre un glaviot sur la tronche et de se faire pourrir la vie pour tout le restant de la journée, les plaisirs infinis de la moquerie. Autre variante : cracher en l’air dans les couloirs trop étroits du collège rien que pour voir les filles se mettre à hurler et nous insulter, pauvre gamins même pas prépubères que nous étions et alors absolument pas intéressés par leurs petits nichons qui pourtant commençaient à pointer (mais l’intérêt viendrait bientôt, en même temps que les combats de cocks). Spit In The Air And Take Out Your Umbrella c’est donc le titre du troisième album de TOM BODLIN et même si celui-ci nous conseille in fine de dégainer nos parapluies, ce titre m’a beaucoup fait rire et donc rappelé quelques bons souvenirs.




On avait quitté Tom Bodlin en très bons termes sur un Palais Des Enfants retentissant bien que suscitant un émoi interrogateur et bien légitime : comment se faisait-il qu’un tel musicien aussi inventif et personnel n’avait pas réussi à trouver un label digne de ce nom et avait choisi de publier lui-même son album, sous une (chouette) forme artisanale ? Je ne comprenais pas et d’ailleurs je ne comprends toujours pas. Mais, fort heureusement, l’histoire ne se répète pas : Spit In The Air And Take Out Your Umbrella bénéficie lui d’une sortie digne de ce nom et c’est tant mieux parce qu’il est encore meilleur que son prédécesseur.
Encore meilleur… mais surtout différent. Sur Spit In The Air And Take Out Your Umbrella Tom Bodlin a fait d’immenses progrès et quelques pas de géant. On pourrait regretter le côté plus bricolé de Palais Des Enfants mais on y gagne au change ; le songwriting est le nouveau gros point fort de Tom Bodlin, ce garçon a du faire un pacte avec le diable à la croisée de deux chemins de mulet et signer de son sang impure pour réussir ce subtil et merveilleux équilibre entre sa rage naturelle et enfumée – la vie, quoi – et une finesse d’écriture qui laisse plus d’une fois pantois – la vie, encore. Tom Bodlin écrit et compose de vraies et belles chansons, des chansons dans le sens le plus noble du terme (pourriture noble comme dirait l’autre) et on affirme que Tom Bodlin est un véritable auteur. Spit In The Air And Take Out Your Umbrella est également un album très attachant, mettant quelque peu de côté les tonitruances d’avant et se concentrant sur l’intime, ce qui n’empêche pas ce disque d’être très drôle (la farce Long Stupid Love Song For A Short Weak Love Story a un côté presque batave et réussir à chanter I Love You plusieurs fois de suite juste pour faire rire mais sans être ridicule est un bel exploit). Et cela n’empêche pas non plus Tom Bodlin de réendosser ses habits de vitupérateur comme sur Birds Need Whisky, Waiting for My Love ou sur le crépusculaire Red Cushion en forme de balade pour cow-boy fatigué.
Si Tom Bodlin est un brillant auteur, il est aussi un instrumentiste débordant de ressources et d’idées ; sur Spit In The Air And Take Out Your Umbrella il chante, joue de ses multiples saxophones, de la guitare et de la batterie et il se démerde suffisamment avec tout ça pour se passer désormais de l’usage intensif des boucles – il y a mais cela sonne si naturel… – et on se rend compte également que les saxophones et saxhorns jadis omniprésents sont dorénavant le plus souvent en arrière-plan ou en soutien. Ce qui ne signifie par qu’ils n’aient plus rien à faire ni à dire : au contraire ils deviennent presque fondants et irréels par instant, comme sur le très poétique What The Duck ? et de temps à autres (comme sur Cowboy From Nowhere) apparait un saxophone soprano ou alto qui se lance dans un solo qui n’a rien d’épuisant ou de démonstratif – encore une fois sur Spit In The Air And Take Out Your Umbrella tout est question de dosage et il n’y a que le talent qui ici est dépensé sans compter.

Merci donc énormément à A Tant Rêver Du Roi, Furne records et Kerviniou records de s’être cotisés pour faire publier Spit In The Air And Take Out Your Umbrella en vinyle. Achetez ce disque ou même offrez-le à votre meilleur(e) ami(e) : si celui-ci (celle-ci) ne l’aime pas et bien cela vous fera une excellente raison pour ne plus jamais lui adresser la parole.