Deuxième concert de la semaine et changement radical d’ambiance et de décor : après les post black metalleux de Wolves In The Throne Room -et toujours grâce à l’orga Ostrobotnie dont ce sera là la dernière programmation avant les vacances d’été- le Sonic accueille une curiosité de taille avec Snowman, groupe assez improbable et venu de nulle part (enfin si, d’Australie, ce qui revient à peu près à la même chose). Un groupe responsable d’un excellent deuxième album, The Horse, The Rat And The Swan qui a ce don assez rare de rebuter radicalement ou de séduire expressément. Après une première venue annulée -en fait c’est toute la tournée de Snowman qui avait alors été mise au rencard- et après un petit tour d’horizon britannique début juin avec leurs compatriotes de The Drones (les pauvres…), nos australiens viennent défendre les titres de ce disque incroyable et inclassable, en espérant qu’ils oublieront définitivement ceux d’un premier album tellement différent de la musique qu’ils interprètent à l'heure actuelle que l’on jurerait que ce n’est pas le même groupe qui joue… l’un des nombreux mystères Snowman à résoudre aujourd’hui.
A quoi peut bien servir une première partie locale ? Réponse : à ramener un peu de monde à un concert parce que l’organisateur a un peu peur que la tête d’affiche ne rameute pas assez de curieux -et sur ce coup là il a parfaitement raison. Stagger Lee est un tout nouveau groupe mais avec que des anciens dedans (je reconnais le guitariste de droite qui jouait dans Black Summer Time, un groupe vu une fois ou deux en concert et qui dans le genre -hard core- le faisait bien) et ce soir c’est leur premier concert. La première démo de Stagger Lee est téléchargeable ici.
Il n’y a rien à dire sur la mise en place du groupe, son énergie (positive l’énergie, Donald Sutherland sort de ce corps) et son entrain à balancer un punk hard core vieillot et daté, rapide mais pas hystérique, burné mais légèrement gras et mélo, genre on n’a pas oublié d’inclure de la mélodie dans notre formule. Honnêtement je m’emmerde, j’ai déjà entendu ce genre de truc un milliard de fois quand j’étais petit -oui je sais : ce n’est pas vraiment un argument- et déjà à l’époque je ne pouvais pas saquer le genre. Je suis un peu surpris par le son du guitariste (qui fait des petits soli) dont la teneur me semble singulièrement manquer de nervosité. Je quitte le devant parce qu’après tout il y a des personnes qui semblent apprécier et vouloir assister au spectacle alors je leur cède volontiers la place pour remonter à l’air libre. Là je m’aperçois que les supporters du second groupe attendent tous dehors que cela se passe.
A quoi peut bien servir un second groupe local de première partie ? Réponse : à ramener encore un peu plus de monde parce que l’organisateur sait pertinemment que booker des concerts au mois de juin c’est une fois sur cinq prendre le risque de se planter. Ce second groupe s’appelle Le Parti et vient de St Etienne (banlieue de Lyon). Le trio pratique un post punk extrêmement daté (allant de Joy Division à Gang Of Four) et en toute logique -passéisme contre passéisme- je devrais bien plus apprécier la nostalgie des camarades du Parti que celle de Stagger Lee car si on me demandait de choisir entre l’option Joy Division/Wire et l’option Black Flag/Circle Jerks de mes goûts musicaux je choisirais la première vraiment sans aucune hésitation.
Or c’est exactement le contraire qui se produit. La musique du Parti est d’une mollesse qui ne fait que souligner d’une façon aberrante les influences préhistoriques du groupe. Le couple rythmique joue comme il le ferait au mariage de ma belle sœur et la guitare énerve sans s’énerver -quel son ignoble. Le Parti enfile cliché sur cliché et pour la seconde fois je m’éloigne de la scène. On ne peut vraiment pas faire confiance à un groupe dont le bassiste porte un t-shirt reprenant le visuel de l’album Meat Is Murder des Smiths. How Soon Is Now ? chantaient Morrissey et ses petits camarades d’alors. Pour le Parti, maintenant c’est jamais et il faudra attendre pour le grand soir.
Je m’éloigne définitivement et pour la seconde fois encore je remonte à la surface afin de prendre le frais sur le pont de la péniche qui abrite le Sonic et je retrouve les fans du premier groupe qui s’emmerdent fermement tout en attendant que cela se passe. Chacun son tour.
La soirée s’annonce donc comme particulièrement pourrie. Parce qu’avec Snowman c’est un peu l’impression du quitte ou double qui domine. Le groupe arrivera t-il à reformuler correctement les ambiances bigarrées de The Horse, The Rat And The Swan ? Celui que je devine être le chanteur envoie quelques vacheries à un petit gnome qui a du mal avec les connexions de son violon électrique : démerdes-toi avec ton matos. Et tandis que l’on procède aux derniers réglages ce même chanteur se balade dans la salle en poussant quelques cris bizarres, chantonnant des trucs incompréhensibles avec cette ostentation du type s’assurant toujours qu’on le remarque. Mais ça me fait sourire malgré tout.
De même, pendant le premier titre instrumental, il gratouille son instrument les yeux invariablement dans le vide et le regard volontairement fixe, ne bougeant pas d’un iota -oui mon garçon tu as l’air d’un grand malade voire même d’un gros psychotique mais n’en fais pas trop quand même, on finirait par de plus vouloir faire semblant de croire à ton cinéma et à ta prétention arty.
Et bien celui qui a l’air le plus taré (et le moins poseur) dans Snowman c’est le petit gnome, celui au violon mais qui joue également du synthé, des percussions, tape des pieds, hurle et chante d’une voix aigue démontrant à l’occasion un lyrisme impeccable.
Les voix célestes en volutes de plomb finement ciselé de l’album The Horse, The Rat And The Swan c’est bien lui et non pas la bassiste (également saxophoniste à ses heures) qui donnera aussi de la voix. Cette richesse vocale -entre incantations torturées, mélopées extra-terrestres et souffles d’anges déchus- est l’une des marques de fabrique de Snowman. La musique et l’instrumentation suivent le même chemin, passant de rythmiques que n’aurait pas renié le Einsturzende Neubauten des débuts à une tectonique noise proche d’un Birthday Party avec un lyrisme théâtralisé à la Bauhaus circa In The Flat Fields/Mask.
Que des références de pré retraités et datant du siècle dernier. Mais Snowman propose une relecture passionnante de ces vieux idiomes, plonge dans une folie musicale qui n’a strictement rien à voir avec les errances post modernes que sont la nostalgie et le sectarisme du second degré. Le groupe passe sans hésitations d’un registre aérien (mais venimeux) à un registre dissonant/chaotique (et explosif), gagnant au fur et à mesure que les minutes passent en irréalité et nécessité. Le vertige comme refuge, l’incompréhensible comme cheminement, une lumière vive et incandescente mais aucune réponse aux questions : Snowman reste une boule de mystères qu’en toute exigence on choisit de laisser tels qu’ils sont, en l’état -il est bien plus important de savoir que de comprendre. Assurément l’un des meilleurs concerts de cette première moitié de l’année 2009.