vendredi 16 juillet 2010

L’Echelle De Mohs - Solar Skeletons / split LP


Voilà un disque précédé d’une solide réputation de musique expérimentale, une réputation tellement envahissante et imposante que ça finirait par sentir mauvais, comme un gros tas de merde. De deux choses l’une : que l’on m’explique tout de suite et maintenant ce que signifie le terme expérimental dès qu’il s’applique à de la musique et que l’on m’explique aussi ce que je pourrais bien avoir à foutre d’une telle réputation, bonne ou mauvaise. Car ce disque est intriguant, au moins pour deux raisons : les groupes qui figurent dessus, à savoir L’Echelle De Mohs et Solar Skeletons, sont parfaitement inconnus et parmi la tripotée de labels impliqués dans cette sortie il y a en certains dont on a déjà parlé plus d’une fois ici – Bruits De Fond, Théâtre records, Migouri, Saucisses Lentilles et Aïnu records, donc une sacrée carte de visite.
J’oubliais : selon des sources bien informées (?), la musique expérimentale, dans un sens général et populaire, est un terme qui désigne généralement un ensemble de musiques se caractérisant par une large tendance à l'expérimentation [merci pour la tautologie], c'est-à-dire une exploration de nouveaux moyens techniques et artistiques souvent en dehors des conventions et des normes admises dans les musiques traditionnelles occidentales. Donc je résume : si tu fais un truc que personne d’autre n’a fait avant toi et/ou dont le résultat est du encore jamais entendu c’est que tu fais de la musique expérimentale. Exemples : John Cage qui intitule une composition 4’33 en référence à sa durée exacte et dont le principe est d’être une plage de silence assourdissant, Terry Riley composant les 53 motifs de base de In C, motifs que les interprètes de l’œuvre sont libres de répéter le nombre de fois qu’ils le désirent, John Lennon qui demande à George Martin d’enregistrer George Harrison au sitar et d’inclure les bandes à l’envers sur le titre Tomorrow Never Knows (dernière plage de l’album Revolver des Beatles, 1966), John Coltrane et Rashied Ali à corps perdu dans Interstellar Space, le Velvet Underground qui se lance dans les 17 minutes free noise de Sister Ray, FM Einheit qui joue du marteau-piqueur sur l’album Kollaps d’Einsturzende Neubauten, Lee Ranaldo et Thurston Moore s’accordant comme des patates sur des guitares à une corde, Mick Harris qui s’éclate à grands coups de blast beats, Oval jouant avec les accidents sonores des supports digitaux… tout ça, c’est de la musique expérimentale. À cette liste j’ai failli rajouter GG Allin hurlant qui se chie dessus tout en se faisant sucer sur scène mais non, ça c’est uniquement de la provocation.























On peut en déduire aussi que la musique expérimentale, ça n’existe pas si on considère que tout a déjà été fait et qu’à partir du moment où une idée a déjà été concrétisée et validée elle tombe dans le giron de l’acceptable. La musique expérimentale c’est ce que tes oreilles n’accepteraient pas pour d’autres raisons que des questions de goût mais en fait la musique expérimentale c’est surtout une terminologie très facile pour expliquer que l’on n’aime pas ou qu’au contraire on adore : beurk c’est nul, c’est la musique expérimentale ou c’est trop trop bien, c’est de la musique expérimentale et c’est cette deuxième option que je vais choisir pour cette chronique, évidemment.
Maintenant, on peut écouter ce disque. D’un côté on trouve L'Echelle De Mohs, trio d’improvisation bruitiste tendant vers la musique industrielle. Si vous êtes fan de bordel protéiforme et de capharnaüm à la Mouthus ou à la Dust Breeders, avec une bonne dose de freeture dedans (le premier titre) ou de choses plus reptiliennes et cauchemardesques qui feraient passer une mise en scène de David Lynch pour un épisode des aventures de Hello Kitty (deuxième titre), France Ferrugineuse comblera haut la main vos plus bas instincts et votre soif de sauvagerie intraitable. Exactement de la musique expérimentale comme je l’aime.
On retourne le disque pour découvrir Solar Skeletons dont ce Lies & Heresy n’est pas le premier enregistrement. Solar Skeletons est un duo de multi instrumentistes opérant dans un registre à priori nettement plus calme que ses petits camarades de L'Echelle De Mohs, plus narratif également. Mais les apparences sont trompeuses. Passées les ambiances brumeuses du petit matin après un bon sabbat de sorcières, rien de tel qu’un petit verre de sang frais coupé à de la rosée cueillie sur des buissons de genêt : on assiste patiemment au retour de l’ombre, à l’apparition de boucles bruitistes et de messages subliminaux invoquant le Malin, les gratouillis de guitare sont également de sortie et c’est parti pour une petite séance salvatrice de terreur généralisée et métallique. Vraiment de la très bonne musique expérimentale.
Un dernier mot pour parler de l’artwork de cet excellent disque, un artwork absolument magnifique et signé par Mélanie Bourgoin. Une raison supplémentaire pour ne pas passer à côté de ce split LP. Vivement recommandé, comme on dit.