samedi 16 janvier 2010

Nadja / Under The Jaguar Sun


Démarrant sur une ligne de basse lancinante, Sun1 Jaguar est l’excellente entrée en matière de Under The Jaguar Sun, double album CD de Nadja publié sur Beta-lactam Ring records. En 2009 le duo canadien a continué d’enchaîner coûte que coûte les enregistrements avec une fréquence très rapprochée, quitte parfois à diluer son propos mais au démarrage Under The Jaguar Sun se veut donc extrêmement rassurant, oeuvrant plus volontiers dans les atmosphères éthérées taillées dans la masse que dans le metal sulfurisé et autarcique qui avait fait la gloire de Nadja sur des albums tels que Bodycage, Corrasion ou Touched. Rythmes presque en retrait, voix murmurée, nappes de guitare comme autant de voiles jetés au visage et troublant la perception des sons tout comme ils troubleraient la vue, Sun1 Jaguar s’achève dans quelques méandres reprenant forme dès les premières notes de Sun2 Winsdom, nettement plus martelé.
Tous les titres de ce premier CD de Under The Jaguar Sun – CD intitulé Tezcatlipoca (Darkness) – sont en effet enchaînés, formant une longue composition d’une heure en perpétuelle mutation. Suit directement Sun3 Fiery Rain (entièrement instrumental) et Sun4 Flood à nouveau conduit par une ligne de basse toute simple – basse bien plus prépondérante que sur les autres enregistrements précédents de Nadja – et avec l’apparition de la voix démultipliée de Leah Buckareff pour un nouveau moment d’apesanteur et de poésie sonore, grincements de fréquences et vapeurs métalliques. Sun5 Earthquake est le morceau de bravoure de Tezcatlipoca, reprenant sur un bon quart d’heure le même motif noyé dans la reverb et la répétition. Une recette déjà maintes fois utilisée par Nadja (notamment sur le titre Numb) et consistant à allier immobilisme massif – quel riff mes enfants, ultra simpliste mais franchement efficace – et décalages imperceptibles grâce aux effets sonores et aux surempilements de couches successives : s’en suit cette impression d’ensevelissement aérien qui est la marque de fabrique du groupe, etc, j’ai déjà dit tout ça. Lorsque Sun5 Earthquake s’achève on est d’ores et déjà persuadé que Under The Jaguar Sun est l’un des meilleurs disques (inédits) de Nadja depuis longtemps et on passe très confiant au deuxième CD.























Ce deuxième CD s’intitule Quetzalcoatl (Wind), ne propose que des titres instrumentaux et, fait marquant, Nadja y est accompagné de plusieurs autres musiciens, essentiellement violonistes et violoncellistes, une grande première me semble t-il – alors que Baker a déjà eu recours à des cordes pour ses travaux en solo. Ocelotonatiuh – le dieu jaguar dans la mythologie maya, les quatre autres titres de cette deuxième partie sont également en référence à cette mythologie – rompt radicalement avec Tezcatlipoca (Darkness), déversant des flots de sons continus et insistants, loin de la dynamique nuageuse du premier disque.
Bien que strictement atmosphérique et répétitif – appelle ça du drone si tu veux – Quetzalcoatl donne nettement moins dans la joliesse et l’apesanteur que Tezcatlipoca avec un fort penchant pour les dissonances (certes perdues dans le lointain), sons cristallins comme autant de carillons incomplets et ressac des instruments à cordes évidemment noyés dans la masse. L’effet est très beau mais proche du surplace total, hop on en profite pour méditer sur rien les yeux collés dans le vague et au plafond ou – beaucoup mieux – pour ne rien faire du tout et ce n’est pas l’apparition d’un harmonium sur Ehecatonatiuh (aka le soleil du vent chez qui vous savez) qui va vous tirer de cette douce torpeur. On arrive ainsi tout doucement jusqu’au dernier titre, Nahui-Ollin (le signe des quatre mouvements chez les nouveaux amis de Robert Emmerich) et son sitar passé à l’envers.Quetzalcoatl (Wind) s’écoute forcément moins souvent et avec moins d’insistance que Tezcatlipoca (Darkness). On peut même affirmer qu’on finira un jour par ne plus l’écouter du tout tant son propos qui a pourtant le mérite d’apporter de l’eau au moulin de Nadja et de permettre au duo de varier ses horizons finit par paraître tout petit pour ne pas dire anecdotique. Oui c’est beau et reposant, et alors ? Alors on peut aussi tromper son ennui en admirant pendant tout ce temps l’incroyable artwork de Under The Jaguar Sun avec son digipak ultra coloré se dépliant pour former une croix et ses illustrations très Nature & Découverte à base de fruits d’érable – mais oui, vous savez bien, ces petits hélicoptères végétaux que les enfants s’amusent à faire voltiger dans les cours de récréation. Et bien Quetzalcoatl, malgré sa beauté formelle et à cause d’une platitude certaine finit par donner le même effet, celui d’un jeu innocent et éphémère oublié aussitôt qu’il est terminé.

[il semble également qu'il est possible voire même fortement conseillé d'écouter Tezcatlipoca et Quetzalcoatl simultanément, ce que je n'ai pas essayé de faire]