Parler de THE EX est toujours un moment difficile. Après la dégringolade qualitative des
albums du groupe pendant les années 2000 et après la résurrection inespérée incarnée
par l’album Catch My Shoe en 2010, on sait
désormais que tout peut arriver. Le bon comme le mauvais. Le nouvel album des
hollandais s’intitule Enormous Door
et parait sous le nom de THE EX & BRASS UNBOUND. Sous cette appellation on
retrouve le The Ex de base actuel – Arnold au chant, Terrie et Andy aux
guitares et Katrin à la batterie et au chant – accompagné d’une section de
cuivres avec rien de moins que Mats Gustafsson et Ken Vandermark aux saxophones,
le trompettiste Roy Paci et le tromboniste Wolter Wierbos.
L’expérience malheureuse d’un concert fabuleusement insipide de The Ex & Brass Unbound en mémoire, passons donc
à l’écoute d’Enormous Door. Une
collection de titres (dont une bonne majorité d’inédits et trois qui figurent déjà
dans des versions différentes sur d’autres enregistrements de The Ex) qui
tentent donc d’allier la tension The Ex avec le côté plus chaleureux et décalé
d’une section de cuivres. Plein de bonnes intentions pour un résultat qui
ressemble à un album bâclé, approximatif et plutôt mal enregistré – le son
général de l’album est vraiment très pauvre. Qu’un groupe et des musiciens se
fassent plaisir c’est nécessaire et même essentiel mais The Ex semble une
nouvelle fois avoir perdu de vue une bonne partie de ce qui faisait la
spécificité de sa musique. Ou, plus précisément, en pointant très exactement le
doigt sur uniquement certains aspects de celle-ci, le côté world-pépère ou le
côté angélique pour les nommer, The Ex s’est contenté d’enregistrer un album terne
et à la limite du médiocre.
La médiocrité c’est d’abord celle du chant
principal qui manque singulièrement de profondeur pour lui préférer une
niaiserie apparemment non feinte (Last
Famous Words, le titre placé en ouverture, est un modèle en la matière). Arnold
De Boer est certes un garçon fort sympathique mais son chant a autant de
mordant que les pitreries d’un Pee-Wee Herman. La médiocrité c’est ensuite
celle des instrumentistes invités : à quoi cela sert-il d’avoir dans ses
rangs quelques uns des meilleurs musiciens de free jazz actuel si c’est
uniquement pour leur demander de donner une coloration festive à sa musique
voire de transformer The Ex en groupe de skapunk ethnique ? Placer un
petit solo paresseux de trompette ou de saxophone ici ou là ne trompera
personne. Tout ceci est réellement désespérant. Et que les parties de Mats
Gustafsson aient été rajoutées après l’enregistrement initial, en re-recording,
n’arrange sans doute rien à l’affaire.
Il y a cependant quelques exceptions ici : Bicycle Illusion (l’un des meilleurs
titres de Catch My Shoe) arrive à
convaincre malgré un début un peu mou du
genou ; Belomi Benna (chanté par
Katrin), un classique de la musique éthiopienne qui arrive à sortir l’auditeur
de sa torpeur – mais on vous conseillera aussi de découvrir la version
autrement meilleure que Ukandanz a donné de cette chanson sur son album Yetchalal.
Difficile également de taire cette impression –
mais on préfèrerait largement se tromper –, l’impression désastreuse et vraiment
très désagréable qu’Enormous Door est
dominé par un esprit extrêmement auto-satisfait et complaisant, où la
« générosité » est avant tout une question d’attitude, comme si The
Ex capitalisait sur son aura et abusait de son statut de groupe défricheur,
avant-gardiste, punk expé et politiquement engagé (etc.) ; comme si on
nous disait quelque chose comme « hey ! il n’y a que nous qui pouvons
enregistrer un album de punk jazz bariolé et impliqué parce que nous sommes The
Ex ». Procès d’intention que tout cela ? Oui, peut-être… Encore une
fois se tromper serait préférable, penser que The Ex s’est juste planté sur ce
coup là et que cela arrive à tout le monde aussi, mais le doute persiste et ce
procès d’intention là est à la hauteur de la déception ressentie. The Ex fait à
nouveau partie du club grandissant des groupes qui ne se contentent plus de
publier des disques de plus pour publier des disques de trop. Mais on s’en
remettra.
[Enormous
Door est publié par Ex records en vinyle et en CD]