LEAN LEFT a tout du super-groupe, ce phénomène
tellement récurrent dans les sphères des musiques improvisées : le line-up
de ce quartet réunit en effet Ken Vandermark aux saxophones et son vieux
complice Paal Nilssen-Love à la batterie – les deux hommes ont souvent joué
ensemble dans la passé et ont quelques bons enregistrements à leur actif* –,
deux musiciens auxquels il faut rajouter Terrie Hessels et Andy Moor soit les
deux guitaristes de The Ex. Le nom de Lean Left est d’ailleurs régulièrement
sous-titré d’un « The Ex Guitars Meet Nilssen-Love/Vandermark Duo » abominable
et qui donne tout sauf envie.
Live At Café
Oto est le troisième enregistrement de ce quartet de luxe**, publié en 2012
chez Unsounds. Un live, donc, mis en
boite dans l’instant et devant un public de connaisseurs particulièrement réchauffés
si on en juge par la fébrilité des applaudissements. Le Café Oto est situé à Londres et est le
repère des musiciens de free jazz, de musique improvisée et de musique
expérimentale du monde entier – rien que de regarder la programmation du lieu
me fait tourner de l’œil. Mais revenons-en à Lean Left qui ne publie donc que
des enregistrements en concert et ne semble intéressé que par le moment où les
quatre musiciens jouent ensemble et se rencontrent (ou pas).
Dans le cas de Live
At Café Oto c’est on ne peut plus réussi. Faut-il (re)repréciser que Paal
Nilssen-Love est l’un des batteurs les plus puissants et dynamiques du
free ? On connait déjà son apport indéniable à The Thing, le power trio
emmené par Mats Gustafsson, mais il prouve une fois de plus ici que son jeu
pourrait faire concurrence à la gravitation universelle tant sa frappe est à la
fois lourde et précise (et puis écoutez un peu également son jeu de grosse
caisse, c’est tout simplement hallucinant). On ne reviendra pas non plus sur
les mérites respectifs des deux guitaristes de The Ex – ces deux là faisait
déjà un duo de guitares improvisées et bruitistes il y a plus de 20 ans alors
que Andy Moor était encore le guitariste de Dog Faced Hermans – mais on
reprécisera par contre que Ken Vandermark a dans le passé fait partie d’une des
premières moutures des Flying Luttenbachers et que les premiers enregistrements
de son Vandermark 5*** possédait encore une partie de cette magie électrique
appliquée à un jazz pourtant beaucoup plus sage.
Vous ne voyez pas où je veux en venir ? Mais
toujours au même point, puisque je ne suis jamais avare en raccourcis lapidaires
et réducteurs : Live At Café Oto
possède cette énergie électrifiante qui fait souvent défaut aux projets free et
le fait que la plupart des membres de Lean Left ait quelque chose à voir également
avec les musiques non « jazz » est assurément l’une des clefs d’une
telle réussite. De son côté Ken Vandermark assure formidablement la dose
maximale de freeture avec des interventions à la fois barrées et hautement
colorées et même lorsqu’il délire à plein (c’est-à-dire sur les trois quarts du
disque) il garde toujours ce son lumineux et franc qui a fait sa renommée
jusqu’ici.
Live At Café
Oto est donc bien plus qu’un disque de free en roue libre : voilà un
disque presque passionnant de bout en bout – on dit « presque » parce
que il y a ces quelques dix minutes un peu avant la fin et qui sentent un peu
trop la temporisation en mode je joue aux cliquetis avec mon instrument –, un
disque qui oublie surtout d’être chiant et complaisant. Du plaisir à l’état
brut et du plaisir partagé.
* il s’agit entre autres de Chicago Volume et Milwaukee
Volume, tous deux publiés en 2009 chez par Smalltown Superjazz et deux
disques à conseiller, définitivement
** depuis Lean Left a publié deux autres
enregistrements : Life At Café Oto -
Day One avec le batteur Steve Noble en guest et Life At Café Oto - Day Two en compagnie du saxophoniste Ab Baars… deux
disques enregistrés les deux mêmes soirs que Life At Café Oto
*** en l’occurrence Single Piece Flow (1997) et de Target
Or Flag (1998) – Simpatico (1999)
bien qu’inférieur aux deux premiers en vaut malgré tout aussi la peine