LITTLE WOMEN ! Rien que l’évocation de ce nom
m’arrache un sourire de contentement teinté d’une joie aussi profonde
d’inextinguible ! L’un de mes groupes de free jazz radical et préféré est
enfin de retour. Après les dents – le demi LP Teeth en 2007 – et la gorge – l’album Throat en 2010 –, les quatre Little
Women s’attaquent donc à la langue – Lung.
Dans le principe ce nouvel album a les mêmes caractéristiques que ses
prédécesseurs : exactement le même line-up avec Travis Laplante au
saxophone ténor, Darius Jones au saxophone alto, Andrew Smiley à la guitare et
Jason Nazary à la batterie ; la même façon d’enregistrer avec une session
unique sur une journée, le 22 octobre 2012, session ensuite découpée en
rondelles (et même l’artwork est à nouveau signé par Mick Barr).
Mais les comparaisons s’arrêteront là. Lung est, au départ, un album presque
silencieux. Un album très théoriquement divisé en quatre parties portant
chacune le nom d’une saison de l’année et Spring
fait plus que surprendre avec son entrée en matière en pointillé, quelques
frottements de cymbales, des grattements de provenance indéterminée, des bruits
de tuyaux… On se retrouve presque replongés au milieu de cette scène
minimaliste dite de l’effacement qui avait fait fureur dans les milieux des
musiques improvisées à la fin du dernier millénaire/début du nouveau (Greg Kelley, Bhob Rainey et Nmperign,
la scène onkyo japonaise, tous ces trucs là…).
Un effacement qui ne dure pas longtemps : la
musique de Little Women s’étoffe peu à peu sur Lung, explose très brièvement de temps à autre tout en restant
d’une extrême sobriété. Pas d’incandescence ici. Pas de free jazz anarchisant.
Et pas de réminiscences no wave non plus. Ou alors si peu. Mais que ce
passe-t-il donc ? Les quatre Little Women ont tout simplement décidé de ne
pas encore enregistrer le même disque – il n’y avait pas beaucoup d’écarts
stylistiques entre Teeth et Throat – et proposent avec Lung une version cérébrale et plus
inquiétante de leur musique.
Le free jazz se fait plus musique contemporaine,
l’électricité se mue en serpentements capricieux et indociles, les rythmes
s’écrasent comme lors d’un crash test, la guitare explose en plein vol puis ses
débris retombent au sol avec la grâce de brins de pollen desséché, les
saxophones bruissent comme des insectes excités par des ultrasons
extraterrestres et Little Women va de faux départs en véritables accalmies, de
longues séances flatulentes en épandages d’eaux usées. Et même si on pense au
bout de longues minutes que le groupe est (re)parti pour de bon sur les routes chaotiques menant au pays de la freeture facile, les derniers instants de Lung nous donnent à nouveau tort,
renouant avec les entortillements de plus en plus dispersés d’une musique avant
tout recroquevillée et moribonde. Lung
est un disque bien plus difficile que Throat
et Teeth ; certains n’hésiteront
pas à le trouver imbitable, ici on admire énormément – et sûrement un peu trop
– l’exercice de style mais on soupire quand même un peu….
[Lung
est publié en CD digipak par Aum Fidelity]