PYLONE
est un groupe vraiment étonnant. Le quatuor de Toulouse (et environs) avait
déjà créé la surprise avec une première démo pleine de promesses et explorant quelques pistes déjà bien dessinées,
une démo enregistrée dans l’année qui avait suivi la naissance du groupe.
Presque une année supplémentaire s’est écoulée depuis ce premier enregistrement
et Pylone ressort de sa tanière pour publier, sans sourciller, son premier
album, Things That Are Better Left
Unspoken*. Sans sourciller parce qu’il est évident que Pylone a énormément
d’atouts en main, que le groupe en a conscience mais – et c’est une qualité
vraiment très rare – qu’il n’en abuse pas non plus. Etre sûr de soi finit dans
bien trop de cas en un étalage d’arrogance, de suffisance, de vanité et de
stérilité. Chez Pylone, c’est carrément tout le contraire : la maîtrise et
la cohérence de sa musique voire la maturité exceptionnelle du groupe ont donné
naissance à un (très) bon disque et c’est tout. Oui, c’est tout mais c’est bien
là l’essentiel et Pylone offre déjà énormément avec ce Things That Are Better Left Unspoken.
On se doute bien que les projets et groupes
antérieurs des quatre membres de Pylone – avec Headwax en tête de gondole – leur ont servi de laboratoire, de session d’apprentissage, de
galop d’essai et de piste de décollage. Il ne pourrait pas en être autrement.
Seulement Pylone pousse vraiment très loin une logique et une esthétique qui
lui sont propres et qui, peut être, en rebuteront certains. Parce qu’elle n’est
pas si facile que cela la musique de Pylone. Elle est même remplie de
faux-semblant : ne vous fiez pas aux premiers instants de SuperNova et en particulier à cette
ligne de basse, non Pylone n’est pas un énième clone de Jesus Lizard enrobé
d’un glacis shellac-quien de circonstances. Bien sûr le groupe s’inscrit dans
cette veine là mais, sans prétendre imiter qui que ce soit ni faire mieux que
ses illustres prédécesseurs, Pylone va voir ailleurs, cherche (et trouve) des
voies qui lui sont propres. Quitte à décontenancer.
La musique de Pylone est incroyablement lente et,
finalement, mélancolique. Le groupe ne dépasse jamais le stade du mid-tempo et
semble refuser toute surexposition sonique, jouant avec les effets d’une
tension qui a tendance à constamment se muer sous la forme d’une retenue quasi
ostentatoire ; c’est comme si tout se passait autour d’une fausse linéarité
emberlificotée par une guitare pure et claire et une basse très ronde qui
jouent aux électrons libres, se faisant mutuellement écho et tressant des
canevas d’une grande délicatesse sans rien perdre de la sécheresse, de l’âpreté
et de la dureté des musiques inspirées du noise-rock. La musique que joue
Pylone est précisément très belle parce qu’à la fois très froide et à la fois très
charnelle. A de rares exceptions près (Tumbledown)
les intentions formelles du groupe n’impliquent aucun renoncement au niveau de
la propagation des émotions. Et les « faiblesses » volontaires mais
en trompe-l’œil de Pylone sont la clef de toujours plus de profondeur. La
musique de Pylone est une musique qui (se) creuse, qui vous creuse, une musique
qui crée de la dépendance presque en douce ou, plus précisément, qui en
s’économisant tombe la plupart du temps en plein dans le mille.
Il n’y a qu’un seul élément dont Pylone ne fait
pas l’économie sur Things That Are Better
Left Unspoken : le chant. Un chant très en avant, singulier, un chant
qui semble pratiquer le tutoiement tellement il a l’air de surgir de juste à
côté, comme si ce chanteur était exactement dans la même pièce mais un chant
qui évite lui aussi toute arrogance. Son ostentation n’a rien à voir avec une
quelconque forme de persuasion agressive mais impose sans fard son originalité
et sa différence. Mais il y a mieux : quelques uns des textes de Things That Are Better Left Unspoken
sont en français*** et jamais – non, jamais – je n’avais été touché à ce point
là par un chant en français, chose que je déteste pourtant cordialement à coup
sûr (ou presque : les exceptions se comptent sur les doigts de la main). Du
coup j’en viens même à regretter qu’il n’y ait pas plus de paroles en français
sur le disque, tellement je trouve que cela va bien avec cette musique. Pylone
est décidemment un groupe à part.
[Things That Are Better Left Unspoken
est publié en LP + CDr** par Bruisson, Gabu Asso, Katatak
et Nothing To The Table ; l’artwork
est absolument superbe et est l’œuvre d’Eric Mahé]
* Things
That Are Better Left Unspoken a en fait été enregistré en décembre 2012 au studio de la Trappe, tout
comme l’avait été le seul et unique album de Headwax
** le CDr fourni avec ma copie de Things That Are Better Left Unspoken est
défectueux, il manque au moins la moitié de White
Dress mais je m’en fous : Things
That Are Better Left Unspoken est également fourni avec un coupon mp3 largement
suffisant pour alimenter la machine à musique portative qui m’accompagne
lorsque je veux m’isoler des bruits de la rue – mais rappelons que toute bonne
musique se doit avant tout d’être écoutée sur un bon support et qu’en l’espèce
rien ne remplacera le vinyle
*** en outre trois textes sont signés Henry
Chinaski qui comme chacun le sait est un pseudonyme de Charles Bukowski