La dernière fois que l’on avait eu des nouvelles de Sister Iodine, c’était à propos du quatrième album du groupe, Flame Desastre, un manifeste de no wave guerrière, tribale, jusqu’au-boutiste et meurtrière : un disque absolument parfait pour tenter une auto-liquéfaction de cervelle tout en vous incitant à vous rogner les articulations jusqu’à l’os. Comme une mort horrible et terrifiante mais d’une lenteur insoutenable et inévitable.
C’est précisément lors d’une tournée japonaise organisée pour la réédition en CD de Flame Desastre sur le label autrichien Mego que les Sister Iodine ont enregistré Meth : Live in Tokyo, nouvel EP capté à l’occasion d’un concert donné le 18 janvier 2010 en compagnie de Masaya Nakahara. Ce dernier est un harsheur émérite et reconnu, il a joué ou joue encore sous les alias de Hair Stylistics et Violent Onsen Geisha, de quoi vous situer le bonhomme et à priori le niveau de violence engendrée et libérée par Meth : Live in Tokyo.
Étrangement, ce nouvel enregistrement, bien que plus massif et bruitiste encore que Flame Desastre, passe mieux la rampe de l’acceptation masochiste et de l’automutilation. Pourtant les trois Sister Iodine accompagnés de Masaya Nakahara font vraiment tout ce qu’ils peuvent (ce concert avait vraiment l’air apocalyptique) pour faire le plus de dégâts possibles et irrémédiables. Or on finit par déceler, au-delà de la barbarie bruitiste – une barbarie non exempte d’angles et de contours : le mur du son révèle en effet de nombreuses prises parfaitement discernables, auxquelles on peut tenter de s’accrocher et qui rendent l’expérience tout à fait praticable – bref, au delà de la barbarie, on décèle ce flottement spectral qui dépasse toute notion de bruit, flottement qui vous donne des visions, vous foudroie d’éclairs aveuglants et vous soulève le corps. On finit même par s’habituer à toute cette folie ambiante et on apprend à déambuler ainsi au milieu des détails assourdissants de ce chaos sans nom.
Chaos qui sur la deuxième face du disque devient de plus en plus abstrait et abandonne petit à petit le langage de la brutalité pure pour s’épanouir dans quelques expériences sensorielles que les détracteurs du harsh noise et de toute musique bruitiste en général disent ne jamais entendre mais qu’au contraire les amateurs de sensations fortes recherchent toujours avec avidité. Ici les Sister Iodine et Masaya Nakahara atteignent une espèce de transe par le bruit, palpable même au travers d’un enregistrement à la qualité certes limitée. On aurait rêvé assister à ce concert de folie.
Ce n’est pas exactement Sister Iodine qui sera en concert le 2 juin au Sonic dans le cadre d’une carte blanche à Gaffer records sponsorisée par les Nuits Sonores mais Antilles, soit l’autre groupe des deux guitaristes de Sister Iodine mais avec un batteur différent (Jérôme Berg de The Berg Sans Nipple) – du coup la musique change elle aussi : Antilles offre un visage moins bruitiste et plus accessible de l’extrémisme musical. Pour cette soirée/nuit à la programmation assez fantastique on remarquera donc Meurthe, les Lunatic Toys, Kandinsky featuring Mario Rechtern, Heretic Chaos et (donc) Antilles, autrement dit un concert de qualité et d'un genre auquel on a rarement l’occasion d’assister, même si on a les oreilles averties.