Troisième concert de la semaine parce que quand on aime, on ne compte pas. Et, en ce samedi soir, retour au Sonic qui pour une fois n’organise pas, avec l’esprit incroyablement mercantile que certains prétendent accorder à ses tauliers, une soirée pour faire danser frénétiquement la populace et vendre à un prix prohibitif des boissons alcoolisées – des fois on en entend de ces choses...
Bien au contraire Le Sonic accueille l’un des groupes les plus intéressants du moment (au moins en ce qui concerne ses disques) en matière de drone campagnard et de minimalisme guitaristique : Barn Owl. Un programme en douceur mais exigeant pour se fertiliser les oreilles – il faut savoir ce que l’on veut dans la vie.
Et donc, presque logiquement serait-on tenté de dire, malgré de bons échos et des bruits de couloir attrayants – le concert parisien donné la veille par Barn Owsl ayant parait-il été des plus réussis –, la soirée va techniquement se révéler être un échec retentissant : quelque chose comme vingt entrées payantes seulement, c'est-à-dire qu’il restait beaucoup trop de place sur le plancher du Sonic et donc suffisamment de mètres carrés inoccupés pour que chacun préserve son sacro-saint petit espace vital et bénéficie de toute l’aisance nécessaire pour s’allonger et fermer délicatement les yeux en écoutant la musique.
Mais, pour l’instant, on va dire pour être totalement honnête que toutes celles et tous ceux qui ont préféré arriver en retard ont eu raison de rater ostensiblement la première partie du concert. En effet sévissait alors un garçon du nom de Jefre Cantu-Ledesma, plus connu de certaines et certains pour son groupe Tarentel. Jefre Cantu-Ledesma représente exactement ce qu’il peut y avoir de plus détestable dans toute cette scène de bidouilleurs qui ne sont que des imitateurs plus ou moins doués ou plus simplement des suiveurs sans imagination. Utilisant une guitare, une armada de pédales d’effet et un appareillage assez similaire à celui de Thomas Ankersmit (une drôle de mallette permettant de modifier les sons uniquement en changeant un ou plusieurs des innombrables branchements qui se trouvent à l’intérieur), Jefre Cantu-Ledesma est un clone quasiment parfait et très lisse de Christian Fennesz, sauf qu’il n’a ni le talent ni l’intérêt de l’autrichien.
Voilà un jugement bien trop sévère et trop définitif ? Peut être… Mais il y en a des fois plus qu’assez de ces musiciens qui exercent extrêmement sérieusement une musique aussi insipide et plate que celle-ci. Jefre Cantu-Ledesma ne nous présentait ainsi pas grand-chose de plus qu’une variante de musique de film aquatique, dans une débauche de drone lénifiant au possible. Désolé mais ça ne passait vraiment pas.
Heureusement que Barn Owl rassure son petit monde tout de suite après. Déjà, le duo joue sur fond de projections de films complètement abstraits et pour la plupart en noir et blanc ce qui, loin de détourner l’attention, incite au contraire à la rêverie, ce genre de rêverie au cours de laquelle la musique résonne encore plus fort. C’est donc parti pour une heure de déambulations, essentiellement à la guitare (juste un tout petit peu de voix de temps à autre mais c’est tout).
Lorsque les deux musiciens de Barn Owl attaquent les cordes de leurs instruments pour en extraire des riffs tournoyants et répétitifs, passent le cap de l’hypnose et revisitent le blues américain dans une débauche de saturation abstraite, tout reste pour le mieux. Ces passages là vous accrochent durablement et ne vous font pas regretter le voyage. Par contre, lorsque les deux guitaristes s’essaient à plus de douceur et activent leurs ebows (ou archets électroniques pour les anglophobes) afin de chatouiller leurs cordes de guitare dans le même sens que les apprentis expérimentateurs qui pensent que tous leurs rêves les plus fous vont enfin être exaucés grâce aux derniers progrès ahurissants de la technologie musicale – des fois ce sont les mêmes qui tentent d’utiliser plus de pédales d’effet qu’ils ont d’orteils pour pouvoir les actionner – Barn Owl devient aussi passionnant et méchant qu’une séance de sophrologie appliquée ou de spiritisme tendanciel avec le fantôme de Steve Hillage.
Le concert se passe ainsi, moyennement, alternant purs moments cathartiques de grésillements graisseux et échappées malencontreuses vers l’ennui. Dommage. Malheureusement Jefre Cantu-Ledesma retrouvera ensuite Barn Owl pour interpréter avec le groupe deux derniers titres et, sans que l’on puisse affirmer qu’il apportait réellement quelque chose au duo, on constatera par contre comme un certain effet de contagion, la fin du concert sombrant définitivement dans la liquéfaction et l’anodin d’une musique zen de pacotille, tournant purement et simplement à la réunion de hippies. Il ne manquait que les brins d’encens et les tapis. Barn Owl rejoint donc (temporairement ?) la cohorte des groupes actuels de musique expérimentale bien plus intéressants sur disque qu’en concert.
[quelques photos floues et sombres de la soirée ici]