lundi 30 mai 2011

Report : Oxbow et Chevignon à L'Epicerie Moderne






















Ce vendredi 27 mai l’Epicerie Moderne de Feyzin accueillait Oxbow, à nouveau de retour en Europe et en France pour une énième tournée triomphale… Enfin ça, c’est le résumé que l’on pourrait faire du discours officiel des promoteurs et des tourneurs mais aussi le résumé des attentes diverses qui subsistent toujours pour un groupe que l’on a passionnément aimé par ici et que l’on continue de suivre à la fois par fidélité mais aussi par nostalgie. Quel vilain mot, la nostalgie (fidélité également, d’ailleurs). Nostalgie pour des moments proprement fulgurants, des concerts hallucinants de tension et de violence – les deux passages d’Oxbow au Pezner de Villeurbanne (1996 et 1998) puis celui au Gourbi (un squat du côté du quartier Bellecombe à Lyon) en juillet 2002. Alors, Oxbow, c’était mieux avant ? Non, c’était juste différent.
Et donc cela ne sera jamais plus pareil ? Qu’importe… On a également appris à aimer ce « nouvel » Oxbow, moins rock et moins noise – comme au contraire il avait pu l’être sur l’album Serenade In red – ou moins torturé – à la différence des albums Let Me Be Your Woman et An Evil Heat, des modèles du genre – mais pas forcément moins extrême et certainement pas plus sage. Des échos du fracas et de la torture sonique originels subsistent cette âpreté et cette noirceur qui nous donnent toujours autant de frissons dans le dos.
Alors ne boudons pas notre plaisir. Même si, après l’enthousiasme épidermique post concert, la ferveur transie est quelque peu retombée. Puis elle est revenue. Rapidement. En fait, il ne faut pas confondre la musique et l’expérience que l’on a pu en avoir. A propos d’un tout autre groupe – en l’occurrence il s’agissait de The Ex – un gérant de salle de concerts (qui s’est aussi trouvé être l’organisateur des deux premiers passages d’Oxbow à Lyon) m’avait asséné cette vérité fondamentale, alors que je lui exprimais cette opinion assez lapidaire que, selon mes souvenirs, les hollandais avaient été bien meilleurs quelques années auparavant : « mais tu sais », m’avait il répondu assez sèchement, « ce ne sont précisément que des souvenirs ». J’ai compris depuis combien il avait raison, combien – pour en revenir à notre sujet – Oxbow en 1996 (la découverte en concert, enfin) et en 2002 (pour la tournée de ce qui allait devenir mon album préféré du groupe, An Evil Heat) n’était que des souvenirs appartenant au passé, des impressions issues d’expériences quasi charnelles n’appartenant qu’à moi. Peut-on trouver plus instantané que le plaisir éprouvé lors d’un concert ? Ce qui nous en reste, ce que nous prétendons être une vérité historique n’est qu’un ressenti et en tant que tel ne peut être que distordu. Tordons nous donc dans le plaisir.

















Aujourd’hui l’expérience Oxbow est presque devenue toute autre. Ou peut être que c’est le ressenti qui est différent (d’autant plus que nous aussi on a changé, avec le temps). On croit alors que cette autre façon, celle que nous a déjà partiellement montré l’album A Narcotic Story, est déjà un fait établi. Et pourtant, le doute est toujours permis. On ne peut être vraiment sûr de rien. A l’heure actuelle, peu de personnes doivent réellement connaitre le contenu exact du prochain album du groupe (The Thin White Duke, annoncé depuis des lustres, c’est presque devenu une coutume chez Oxbow) mais ce qu’il y avait de vraiment marquant dans le concert qu’a donné Oxbow ce vendredi 27 mai à l’Epicerie Moderne – en dehors du fait que le groupe a comme à son habitude pioché dans une bonne partie de son répertoire et a exhumé comme toujours quelques bonnes vieilleries – ce sont les concordances que l’on a pu retrouver entre ce concert et la réécoute du deuxième album d’Oxbow, King Of Jews (1990), qui vient tout juste et fort à propos (?) d’être réédité par Hydra Head records. La teneur et la couleur musicales de cet album magique semblaient tenir toutes entières dans ce concert. Avec des moyens différents Oxbow continue donc en réalité à creuser le même sillon et à perpétrer inlassablement son crime originel, celui de son premier disque, Fuckfest, et dont King Of Jews est le plus proche écho traumatique.
La connotation blues de cette musique ne fait ainsi vraiment plus aucun doute. On la retrouve donc dans deux albums vieux de plus de vingt années, on avait pu l’oublier entre temps mais elle revient plus que jamais et en force, maintenant. Au feeling et à l’émotion des débuts s’est ajoutée une incroyable maîtrise instrumentale : Niko Wenner est un guitariste de plus en plus fabuleux, plein d’inventivité, offrant le plus beau des hommages et exprimant le plus grand des respects possibles à une certaine tradition musicale : en la dynamitant, tout simplement. Dan Adams (il joue toujours sur une basse fretless cinq cordes) et Greg Davis (batterie) pourraient être la rythmique d’un groupe de free jazz.
























Quant à Eugene Robinson, il a un rôle à tenir et il le tient parfaitement : « we are Oxbow, we love luxury, we love hotels, we love showers, we love maids » ou bien « who among you thinks I’m gay ? come on, hands up ! who thinks I’m gay ? let me know your girlfriends and I’ll show you the truth ». A ce moment là Niko Wenner et Greg Davis levèrent la main, non sans humour. Même si cela me fait toujours rire je rêve aussi du jour où Eugene Robinson n’aura plus besoin de se déshabiller pour se mettre totalement à nu, où il ne sera pas que ce showman délirant mais également ce poète du chaos qu’il laisse de plus en plus transparaître avec toute la classe ultime dont il est vraiment capable.
Et ce qui est finalement vraiment troublant, c’est cette vérité si élémentaire et si simple qu’on se sent parfaitement idiot de ne pas y avoir cru, d’avoir douté, d’avoir été un pseudo historien nostalgique et obtus : avec Oxbow on est à la fois dans des repères connus – l’électricité – et à la fois dans le flou de la surprise – la réinvention permanente. Aucune déception à signaler à l’horizon, le groupe est toujours cette bête immonde et indomptable. Je garde donc profondément enfouis en moi mes souvenirs d’une autre époque, écoute les résonnances qu’ils m’offrent avec le moment présent et attend la suite avec toujours plus d’impatience. Gageons qu’Oxbow n’a toujours pas fini de muer, de se transformer et d’aller voir ailleurs.
















En première partie Chevignon – oui ce soir c’était la soirée des marques ou (si on préfère) un défilé de mode sportwear pour petits bourgeois – Chevignon donc avait la lourde tâche de servir de hors d’œuvre, ce que le groupe a su faire avec brio. J’étais bien content de cette séance de rattrapage puisque j’avais malheureusement raté ces quatre garçons lors du festival Africantape, fin avril.
Ce soir pas d’émeute, pas d’hystérie, pas de menaces et pas d’insultes pour le groupe sur scène, mis à part un « enculés ! » lâché par l’une des personnes de l’Epicerie Moderne donc ça ne comptait pas vraiment. Pas de tentative de sabotage de la sono non plus. Face à cette ambiance de boum pour adolescents sages se roulant des pelles en attendant que leurs rêves de merde deviennent enfin réalité et même si la provocation de Chevignon ne fonctionnait donc pas à plein régime, on a pu goûter à toute la finesse de la musique du groupe – ces deux guitaristes de malades et ce batteur impressionnant (également dans FAT32) – ce qui était pas mal non plus. Chevignon était en grande forme, son chanteur prenait ses airs de tapette homophobe qui me font hurler de rire et ce nouveau titre, pastiche décalé, sixties et surf est réellement excellent. Un titre fort heureusement filmé pour la postérité – au sens internet du terme, c'est-à-dire pas pour très longtemps – par notre ami et chauffeur officiel Lionel DarkGlobe (merci à lui).

Quelques photos du concert ici, y compris celles du mini set acoustique qu’Oxbow a donné devant la scène avec en guest la participation au violon d’Alice (habituellement clavier des Lunatic Toys).