lundi 25 avril 2011

Tim Hecker / Ravedeath, 1972






















On raconte volontiers cette histoire – et à mon avis à tort, bien que je le fasse aussi : en 1972, des étudiants du Massachussetts Institute of Technology se sont mis en tête de balancer un vieux piano du sommet du toit de leur université, ouvrant ainsi une nouvelle ère par un rituel qui aujourd’hui se perpétuerait encore. Le canadien Tim Hecker est un jour tombé sur une photographie prise pendant l’évènement initial, celle-là même qui orne la pochette de son sixième album solo, Ravedeath, 1972 (paru chez Kranky). Ce cliché et cette histoire sont à la base de la composition et de l’écriture de l’album, ayant agit sur Tim Hecker comme un élément inspirateur et cathartique. Honnêtement de telles motivations – même si elles ont été nécessaires à l’auteur de Ravedeath, 1972 – ne nous intéressent que très moyennement : ce piano jeté d’une hauteur telle qu’il n’en est plus rien resté est une histoire amusante, un acte gratuit dont on aurait aimé qu’il soit d’essence libertaire mais, avec un certain recul, cette histoire est surtout dénuée de toute poésie et de toute signification politique ; on a plutôt l’impression d’assister à une bonne grosse blague d’étudiants à lunettes qui s’emmerdent et qui ne savent pas quoi faire pour s’occuper. En 1972 l’esprit frondeur et revendicateur de la fin des années 60 est déjà un vieux souvenir, c’est la gueule de bois, et que les étudiants du MIT continuent aujourd’hui de jeter des pianos des toits de leur fac est un signe évident de potacherie dénué de tout autre fondement, et ce dès le départ.
Et c’est précisément sur ce point précis que réside tout le génie de Tim Hecker. Si le musicien a été envouté par cette photographie, il a aussi construit quelque chose d’autre autour d’elle, un disque précisément. Il ne s’est pas arrêté aux faits, à leurs explications possibles, à leurs significations éventuelles (ou absence de significations). Et on comprend parfaitement ce qu’il a pu ressentir en découvrant pour la première fois cette photographie, puisque en découvrant nous-mêmes la pochette de Ravedeath, 1972 on a eu le même genre de choc : on peut difficilement faire plus intrigant et même si l’explication en est décevante, cette photo continue malgré tout de fasciner. Une photographie c’est après tout un moment figé, un temps passé, un tout petit bout d’action, des points de suspension, des interrogations, du hors-cadre, du rêve et pourquoi pas des envies. Exactement tout ce qu’évoque également la musique de Tim Hecker. Celle-ci est à la fois très connotée – des termes qui reviennent en boucle à propose de Tim Hecker : évanescence, brouillard, ambient, electro minimale, intimité, etc – mais aussi et surtout sujette à toutes les interprétations et extrapolations de la part de l’auditeur. Et sur Ravedeath, 1972 Tim Hecker va toujours profondément dans sa nature de catalyseur de rêves.
C’est d’autant plus vrai qu’aux premières écoutes du disque on est frappés par le mélange d’intimité et de majesté qui en émane, on en vient même à prononcer les mots de mystique et de cathédrale tant les échos résonnants et les sonorités employées nous évoquent les vibrations de vieilles pierres chargées d’histoire, une histoire que bien évidemment on ne connait pas ou que l’on préfère ignorer. C’est en lisant les notes techniques du disque que l’on apprend que Ravedeath, 1972 a été enregistré dans une église – en bois ! – de Reykjavik, en Islande. Certains éléments se mettent alors en place, comme l’utilisation presque centrale de l’orgue ou la majesté mi-funèbre mi-lumineuse de la réverbération. Mais là aussi les explications deviennent inutiles : tout comme la photo illustrant le disque conserve toute sa liberté d’interprétation, la musique de Tim Hecker vole de ses propres ailes, tout comme elle finit par n’appartenir qu’à celle ou celui qui l’écoute. Ravedeath, 1972 est de très loin le plus beau et le plus émouvant disque de Tim Hecker.












Tim Hecker est actuellement en tournée européenne et pour les lyonnais, le concert se déroulera au Sonic le 4 mai prochain en compagnie de Witxes et de notre ami Cogne & Foutre – et non plus à Grrrnd Zero comme initialement prévu, suite à d’intenses tractations esthético-financières qui ne nous regardent pas.