lundi 18 avril 2011

Fennesz - Daniell - Buck / Knoxville






















« Hey Thomas ! Comment ça va ? Bon mon pote, je sais bien qu’en général tu préfères jouer en solo mais ça ne te dirait pas pour une fois de faire un trio avec Kevin et Mathieu ? Allez, bisous mec, et tiens-moi au courant ». Voilà le point de départ de plein de collaborations entre musiciens de la scène improvisée. Les dits musiciens ne se connaissent pas, ou alors seulement de réputation, et néanmoins ils sont invités à jouer ensemble pour un festival ou autre. Vision idyllique de l’art subventionné (ou avec mécénat) et assurément une bonne gache pour les directeurs artistiques. Mais ne nous m’éprenons pas : il ne s’agit pas de dénigrer ce genre de pratiques puisqu’elles ont engendré dans le passé des rencontres entre musiciens qui sans cela n’auraient sûrement pas eu lieu. Même si la démarche semble à mille lieues de toute spontanéité et hors du champ d’action du hasard – au pire les musiciens ne s’entendent pas vraiment et le concert est chiant mais néanmoins « intéressant », au mieux c’était une « belle rencontre » et ce directeur de festival est un véritable génie (?) – nombre de bons concerts et de chouettes disques sont nés comme cela.
C’est sans doute aussi le cas de Knoxville, enregistrement live d’un concert donné par un trio de choc : Christian Fennesz, David Daniell et Tony Buck. Celles et ceux qui connaissent surtout Fennesz pour ses enregistrements impressionnistes en solo seront peut être surpris d’apprendre que notre homme est aussi un improvisateur chevronné : sa collaboration la plus connue est celle avec Jim O’Rourke et Peter Rehberg (Fenn O’Berg) mais dans le genre son meilleur enregistrement s’appelle Afternoon Tea avec Oren Ambarchi, Pimmon, Peter Rehberg et Keith Rowe, publié une première fois en 2000 chez Mille Plateaux/Ritornell et réédité en 2009 par Black Truffle. Absolument immanquable.
Knoxville s’appelle ainsi parce qu’il a été enregistré au Big Ears Festival qui se tient tous les ans à Knoxville, Tennessee. Le disque est assez frustrant car il ne dure qu’une demi-heure mais il est passionnant car il permet d’entendre Fennesz dans un contexte nettement plus énervé qu’à l’accoutumé. David Daniell est en effet un ex San Agustin et si aujourd’hui ses performances solo sont moins virulentes que celles de son ancien groupe, il reste un sacré guitariste amateur de textures bruitistes. Tony Buck est lui un vieux briscard et un batteur puissant ayant parfois recours à l’électronique – essayez donc les deux premiers albums de Peril, avec Otomo Yoshihide – et ayant aussi bien joué avec The Necks que Kletka Red ainsi que toute la clique internationale des musiques improvisées (et à ce niveau là, des trois musiciens, c’est lui qui a le plus beau pedigree).
Quand on dit (vulgairement) que Knoxville défouraille et déboite c’est amplement vrai bien que le trio soit expert dans la façon d’amener son propos via des intros calmes et atmosphériques. Le suspens n’a en général rien d’insoutenable mais le cours des choses, inévitable, n’a pourtant rien de forcé malgré le systématisme des procédés : sans doute que tout est dans la façon de faire les choses. Dès que l’on parle d’impro on échappe que rarement à son corolaire montée en puissance, ce qui se vérifie une nouvelle fois ici mais le trio Fennesz/Daniell/Buck évite également toute lassitude grâce à la richesse des textures et des sons employés. Quand on pense à tous ces boutonneux et autres zombis à lunettes qui ne jurent que par les méthodes progressives et les structures en poupées russes pour engendrer des compositions indigestes et espèrent ainsi se rendre intéressants, on se rend bien compte au contraire que ce qui leur manque par-dessus tout c’est la beauté du son et du propos – choses qu’aucune prouesse technique ne saurait assurément remplacer et que le trio Fennesz/Daniell/Buck possède et maîtrise à l’occasion avec un art certain. Seul moment moins passionnant de Knoxville, Antonia et ses atermoiements façonnés au e-bow et au laptop mais la conclusion du disque, Diamond Mind, est tellement belle que l’on peut aisément faire l’impasse sur cette légère faute de goût.