Belle affiche que le concert de ce mercredi au Sonic avec d’un côté Sic Alps et de l’autre les très attendus (pour moi) Extra Life, groupe dont le deuxième album Made Flesh continue de caracoler au sommet de mon top 10 personnel – et il y a fort à parier que ce disque finira également dans le peloton de tête à l’heure des bilans de fin d’année.
Trop attendre d’un groupe en concert alors que l’on apprécie particulièrement sa musique sur disque peut se révéler particulièrement mauvais pour le moral en cas de grave déception mais j’assume ou plus exactement je préfère prendre le risque. J’en entends tous les jours et de toutes sortes à propos d’Extra Life sur scène – je ne parle même pas de toutes celles et de tous ceux qui détestent cordialement Extra Life sur disque – et de l’incapacité supposée du groupe à recréer en concert son rock arty à tendance médiéval. Ah ouais, médiéval, le mot est lâché et il fait beaucoup trop peur à beaucoup trop de gens… Charlie Looker, tête pensante maniérée et un rien tatillonne d’Extra Life va juste prouver ce soir que son groupe est aussi bon sur une scène qu’enfermé dans un studio et qu’il n’a pas à rougir de la comparaison avec des formations plus classiques.
Du plus classique on va y avoir droit avec Sic Alps, encore un groupe généreusement adoubé par ces grands seigneurs de Sonic Youth et qui sort des disques à la pelle sur une multitude de labels. Des singles comme s’il en pleuvait et d’ailleurs récemment compilés sur un magnifique double LP chez Drag City. Je n’avais auparavant jamais entendu parler de ce groupe ou plutôt je n’avais pas réellement prêté attention au cas de ces trois chevelus, je l’avoue, à l’inverse de la grosse vingtaine de personnes ultra motivées qui elles ont l’air d’être venues spécialement ce soir pour gigoter en rythme devant le trio. Bah, je me dis aussi qu’un groupe qui comprend dans ses rangs un type (Matt Hartman) qui fut un temps batteur des Coachwhips aux côtés de John Dwyer ne peut pas non plus être un mauvais groupe
Je m’attendais donc à quelque chose de plutôt garage et de franchement lo-fi, les joies des mp3 glanés ici et là sur internet et écoutés à l’arrache histoire de se faire une idée et de ne pas avoir l’air trop ignorant le moment venu, et j’avais (presque) tout faux. Sic Alps œuvrerait plutôt dans le domaine d’un rock assez mou, oui mais agréablement mou, on va dire nonchalant. Des tournures grungy post seventies et de temps à autres des explosions de fuzz bienvenues. C’est vraiment bien foutu, curieusement mélodieux et le chanteur a une voix délicieusement traînante. Les compositions se ressemblent un peu toutes – je crois entendre plusieurs fois le riff d’intro d’Astronomy Domine de qui-vous-savez – mais ce n’est pas bien grave, la musique de Sic Alps colle plutôt bien avec le roulis de la péniche qui abrite le Sonic.
Tous les membres d’Extra Life sont déjà sur scène et je me sens quelque peu déçu : ils ne sont que quatre, je cherche désespérément Travis Laplante, l’un des deux souffleurs de Little Women qui joue du saxophone et des claviers sur Made Flesh mais il n’est pas là. La mouture actuelle d’Extra Life est une formation resserrée et tout-terrain destinée à endurer une tournée européenne avec Caley Monahon Ward au violon, Tony Gedrich à la basse (et affublé d’un magnifique t-shirt de ALL, je ne pensais même pas que cela puisse encore exister) et enfin Nick Podgurski à la batterie et aux percussions. Charlie Looker va s’occuper du chant bien sûr – mais le bassiste du groupe tiendra également un rôle de choriste non négligeable –, des guitares et du synthétiseur. Cela fait beaucoup pour un seul homme vous me direz mais tout cela il va parfaitement le faire.
Citer tous les musiciens d’Extra Life n’est pas gratuit non plus : certes le groupe est la créature de son chanteur/leader et seulement la sienne mais la musique de Charlie Looker ne serait rien sans l’appui de tous ces excellents musiciens. Le violoniste ajoute énormément de textures – surtout lorsque la guitare ne joue pas parce que Charlie se concentre sur son chant de ménestrel new-yorkais –, le batteur est une vraie bûche qui tape comme un malade et le bassiste joue ultra puissant, avec un son particulièrement dur et sec, presque hardcore – allié au batteur il assurera les deux ou trois rythmiques pachydermiques et/ou très marquées (comme sur The Body Is True ou The Ladder) qui dans la musique d’Extra Life peuvent parfois faire penser aux Swans de la vieille époque… mais à bien y réfléchir c’est vraiment là le seul aspect du groupe de Michael Gira que l’on retrouve dans celui de Charlie Looker.
En attendant tout le monde poirote, sur la scène comme dans le public : Charlie met beaucoup de temps à s’installer, à faire deux ou trois réglages, à réaccorder ses deux guitares, à vérifier un jack. C’est long, pointilleux, méthodique, une mise en place comme un rituel de cérémonie. J’exagère ? A peine : on sent bien que tout doit être parfait, que rien n’est laissé au hasard – on a rarement entendu ces derniers temps une musique aussi composée et aussi arrangée que celle d’Extra Life donc c’est tout à fait compréhensible. Le risque c’était évidemment de produire sur scène un truc complètement figé et froid, sans vie. Ou alors complètement incohérent si les trois musiciens derrière Charlie Looker n’avaient pas été capable de le suivre.
C’est tout le contraire qui s’est produit. Le concert a démarré tout doucement avec Black Hoodie, l’une des magnifiques balades de Made Flesh et tout l’album va y passer, magistralement. Il n’y aura qu’un seul titre du premier album qui sera joué, à cette occasion une voix se fait entendre dans le public, affirmant que les anciens titres sont bien meilleurs que les nouveaux, que c’est ceux-là qu’il faut jouer – affirmation à laquelle une autre voix répond positivement mais désolé les gars, vous vous plantez complètement, Made Flesh est bien plus abouti que Secular Works que j’aime pourtant aussi beaucoup. Les plans s’enchaînent, les rythmes varient à une intensité folle, le chant reste plutôt bien en place (c’était un autre de mes sujets d’inquiétude avant le concert).
Looker nous sort également un petit speech maniéré sur sa passion à propos de Guillame de Machaut – qui ca ? – ajoutant qu’il adore ce prénom, Guiliome, qui évoque invariablement pour lui le Moyen Age (les trois Guillaume présents au Sonic ce soir là, représentant tout de même 6.66 % du public, ont su apprécier). Il ne reste alors qu’une petite trentaine de personnes devant la scène, les fans de Sic Alps ont définitivement déserté, mais tout le monde est au taquet et réclame un rappel. Le groupe s’exécute de bonne grâce, Charlie Looker ne pouvant s’empêcher d’expliquer qu’il ne comprendra jamais cette manie toute européenne du encore. C’est donc un One Of Your Whores, proprement divin, qui retentit dans le Sonic. Tout comme l’album Made Flesh, ce concert d’Extra Life est bien placé dans la liste des futurs grands souvenirs de l’année 2010.