jeudi 6 mai 2010

Radian / Chimeric























Difficile de ne pas avouer que Chimeric, cinquième album de Radian, était désespérément attendu ici. On pensait même le groupe complètement perdu dans les limbes, ou plutôt dissout dans la suractivité de ses membres – en particulier Martin Brandmlayr qui aime bien se la jouer solo quand il ne participe pas à Trapist ou à Autistic Daughters (avec Dean Roberts) et qui, comme il n’aime vraiment pas s’ennuyer, a même rejoint les rangs de Polwechsel il y a quelques années. De son côté Stefan Németh avait publié courant 2008 Film, un album solo dont le plus grand mérite était de nous rappeler que oui, ça bougeait encore du côté de Vienne, Autriche.
Radian est vraiment le genre de groupe que l’on pourrait s’attendre à voir participer à un bon festival mêlant les joies des musiques électroniques exigeantes, du rock non calibré et autres pitreries expérimentales – drone, indus, free, tout ce que tu voudras, comme pour le superbe Sonic Protest à Paris, à Lyon on attend toujour – tant la musique du groupe a toujours su allier la sécheresse cérébrale d’une electro non festive (du label Mille Plateaux à Raster-Noton en passant par Mego) à l’impérieuse nécessité de l’organique et de l’humain. Rapprocher Radian de This Heat n’est pas une hérésie non plus tant les rythmiques mises en place par Martin Brandmlayr peuvent rappeler celle d’un Charles Hayward. Radian est un groupe de musique électronique qui joue sa musique pour de vrai, avec des instruments et c’est en même temps un groupe de « rock » qui tend vers l’abstraction en déformant ses sons, en les manipulant en direct et parfois même en improvisant. On ne perd absolument rien au change avec Radian, surtout pas au niveau de la qualité des compositions et de ce truc souvent bien encombrant que l’on appelle harmonie : Radian est aussi un groupe de post rock, si cela peut encore vouloir (ou a jamais voulu) dire quelque chose. Les amateurs des deux premiers albums de Tortoise s’y retrouvent non sans un certain plaisir.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que depuis 2003 Radian sorte ses disques sur Thrill Jockey et Chimeric ne fait pas exception. La première constatation est que Radian a rallongé ses compositions et s’adonne plus encore à l’abstraction, que je te mette un petit son par ici, que je te place un grésillement par là ou que je passe mon temps à essayer de te perdre dans le labyrinthe d’une musique gavée de faux rebondissements et d’impasses masquées par des miroirs – écouter un titre tel que Chimera sans s’en trouver en même temps complètement exclu peut s’avérer impossible et l’échec a ce goût du rédhibitoire qui vous fait ranger un disque dans un coin où il risque fort d’être oublié à jamais. Heureusement l’aridité formelle et le manque de lisibilité/visibilité à court terme ne sont pas une généralité sur Chimeric. Après un départ en trombe (Git Cut Noise et sa rythmique saturée), le couple Feedbackmikro/City Lights explore toute la délicatesse et la finesse sonore dont Radian peut faire preuve. Feedbackmikro impose lui une mise en place quasi subliminale avec un Martin Brandmlayr toujours aussi inspiré derrière ses fûts et son laptop alors que City Lights évoque lui une progression de l’ordre de l’aquatique avant l’intrusion de sonorités plus crues, plus industrielles – un émouvant final chargé de guitares samplées offre alors un ticket en aller simple pour la piste aux étoiles.
Ce n’est pas Git Cut Derivat (sous l’influence totale d’Oval) ni le difficile Chimera (déjà évoqué plus haut) qui vont gâcher la dynamique d’un album qui – après plusieurs écoutes – se révèle toujours aussi exigeant tout en continuant de jouer sur les accroches, ces petits riens qui font les grandes adhésions, sans conditions. Kintakt est un titre très rythmique, dans le pur style de Radian pourrait-on même dire, avec ses bzzzz bzzzz qui appuient là où ça donne forcément envie de se trémousser. Subcolors est le dernier (et long) titre de Chimeric : chargé d’une douce énergie cinétique (non je n’ai pas dit cinématographique), il possède également cette faculté – celle développée jusqu’au paroxysme sur Chimera – d’emprunter quelques détours narratifs pour noyer le poisson mais, à la grande différence de Chimera qui se la jouait trop musique concrète, Subcolors pose ses pièges sur un terrain partagé entre rock minimal et electro statique, genres bien plus appréciés et connus, permet l’illusion d’un final quasi post rock (encore une fois : dans le sens des deux premiers albums de Tortoise) et préfère jouer la carte de l’extinction en pointillés. Radian, laisse plus que jamais cette impression confuse d’une bougie qui crépite de temps à autres et grandit soudainement lorsqu’une bulle d’air est libérée de sa cire – on la fixe du regard, sans trop rien comprendre à ce regain d’activité mais on ne peut s’empêcher de trouver une beauté mystérieuse à un phénomène pourtant parfaitement naturel.