Auteur d’un bon premier album (Pa Capona sorti en 2006 chez Get A Life records!) et d’une poignée de singles ou de 25 centimètres, Ventura était un bon petit groupe que l’on aimait comme tel : des disques que l’on prenait plaisir à écouter de temps à autre mais rarement, comme une connaissance que l’on croise un peu par hasard et donc, oui, pourquoi pas, passons un moment ensemble. Avec ce deuxième album, l’extraordinaire We Recruit, Ventura ne peut que passer dans la catégorie supérieure, celle dont les disques sont systématiquement sur le dessus de la pile, là juste à portée de main, celle dont les mp3 ne quittent pas la machine infernale – je parle de la machine que l’on se met tous les matins sur les oreilles pour se donner un peu de courage quand on sort de son home sweet home – et celle d’une musique que l’on a envie de faire découvrir tout autour de soi. On pensait Ventura capable de bonnes choses, de savoir trousser honorablement une composition, d’avoir un son qui lui est propre : il va falloir réviser son jugement, tellement We Recruit dépasse nos plus folles espérances. Quitte à remuer également quelques préjugés bien ancrés chez nos contemporains en matière de rock noisy et poppy.
Le trio suisse ne donne en effet pas dans la facilité, œuvrant dans un genre à priori accessible par tous mais guère en vogue à l’heure actuelle. A l’écoute de We Recruit, on saute à pieds joints dans les 90’s mais pas n’importe lesquelles, les 90’s d’une musique fine mais énergique reliant les Pixies à Nirvana, certains groupes du label Prohibited records aux diamants finement ciselé par Bob Mould le temps de trois albums avec Sugar. Ici pas de surenchère matheuse ni de surlignage post quelque chose, tout est dans la finesse, le détail voire même la délicatesse. Un réel plaisir pour les sens et qui parle également à votre tête. Pour une fois les termes de musique intelligente ne seront pas usurpés. Si vous pensez également que emo signifie systématiquement geignard et pleurnichard, ce disque vous rappellera surtout qu’en l’occurrence l’émotion – non ce n’est pas un gros mot – n’est rien sans une bonne mélodie. Les compositions sont donc le point fort de We Recruit et de ses huit titres ouvragés, travaillés amoureusement, rivalisant de profondeur à tel point qu’en choisir un seul, déterminer lequel est son préféré devient impossible : le préféré c’est forcément celui que l’on est en train d’écouter puis ce sera celui d’après, etc. S’il fallait vraiment en choisir un, on opterait peut être pour le dernier, Demons, parce qu’il est le plus long (sept minutes) au sein d’un album assez court (35 minutes) et qu’il synthétise toutes les facettes de la musique de Ventura, mettant aussi bien l’accent sur l’accroche mélodique du chant et des guitares que sur l’énergie – ce batteur est incroyable –, passant d’un pop rock illuminé à quelques envolées noise qui vous déchirent le cœur.
Finissons avec les deux autres grandes qualités de We Recruit. Tout d’abord le son de l’enregistrement, équilibre parfait entre soucis du détail et puissance de feu, c’est un certain Serge Moratell qui n’en est pas à son coup d’essai qui a enregistré ce disque. Enfin, la voix pas toujours très évidente du chanteur est pour la première fois réellement convaincante, mixée légèrement en retrait mais parfaitement distincte, la retenue du chant ne le rend que plus expressif.
En se laissant convaincre de publier We Recruit, le très actif label Africantape a donc fait coup double : non seulement il nous permet d’écouter l’un des disques de l’année et en plus il élargit son catalogue vers des horizons qu’il n’avait jusque là jamais envisagés.