dimanche 2 mai 2010

Headwar, l'art de la destruction























C’est le dernier concert de ce mois d’avril de folie – je refuse de repenser aux semaines passées pour considérer la liste de tous les groupes et concerts que j’ai volontairement laissés de côté si je ne voulais pas mourir d’épuisement ou d’interdit bancaire – et c’est celui que j’attends finalement avec le plus impatience : la dernière fois que Headwar a joué à Lyon je n’y étais pas allé parce que ce groupe d’Amiens était programmé à la fin d’une soirée dégueulant des groupes dont je n’avais strictement que faire (les joies du mélange des genres et de l’éclectisme chers à Grrrnd Zero). Cette fois ci c’est à peu près la même sauf que le mélange est nettement plus séduisant : Folle Eglise que je ne connais pas, Mr Labrador (dont on me dit que du bien), Radikal Satan (les vedettes de la soirée et que l’on ne présente plus) et Headwar, donc. Pas le moindre groupe de hip-hop rachitique de petits blancs en anorak et/ou à barbe à l’horizon et c’est tant mieux.
Une (presque) jolie moquette rouge orne désormais le sol du Grrrnd Zero de Gerland en vue d’une soirée cabaret/pipe-show prévue pour le lendemain : l’endroit en est tout transformé et la métamorphose de ce lieu d’habitude assez glauque et glacial est saisissante et bienvenue alors que tout baigne dans une lumière carmin qui réchauffe les sens. Je m’informe sur l’ordre de passage des groupes et j’apprends donc qu’Headwar va bien comme d’habitude jouer en dernier, genre plus rien ni personne ne tiendra débout après eux.
















Le premier groupe qui monte sur scène est Folle Eglise, une formation composée de deux filles et d’un garçon – ce qui, si je compte correctement, nous fait trois possibilités. Trois possibilités ? Malheureusement non, le concert de Folle Eglise sera tristement monocorde et dramatiquement plat : si les choses démarrent pour le mieux, bien qu’un peu trop dans le trip je joue lentement ma musique pour hippies qui aiment le bruit quand même (les trois quarts du public sont assis par terre, pour rester poli on appellera ça donner de la moquette rouge à des cochons), le souffle initial s’amenuise rapidement et le temps se dilate strictement de manière inversement proportionnelle à un intérêt déjà pas flagrant au départ.
Pas assez d’idées, pas assez de tournemain et de savoir-faire pour faire tenir ce fragile édifice en équilibre précaire et toutes les facilités de l’ambient/drone/patchouli/tapis-moquette (décidemment) sont gentiment déclinées par ces trois jeunes gens/jeunes filles qui visiblement ne savent pas jouer, ce qui en soi n’est pas très grave, il y a tellement de bons groupes qui ne savent pas jouer, mais qui n’imaginent même pas non plus pouvoir compenser avec des idées et l’enthousiasme qui irait avec. Un début de soirée calamiteux, ce sont des choses qui arrivent et j’imagine aussi, parce que je suis dans un bon jour vis-à-vis de cette musique pour idéologues végétariens amateurs d’improvisations sans queue ni tête, que Folle Eglise c’est pile ou face : pile la sauce ne prend pas et le tofu est tout moisi, face le boulgour a été assaisonné avec soin avec du paprika bio éthique issu du commerce équitable et importé en avion cargo alimenté en kérosène saoudien de chez Total-Elf-Fina. Merci Max Havelaar.























Deuxième attraction de la soirée : Mr Labrador. Encore un hippie qui aime le bruit mais lui s’en donne les moyens : il sonorise une sorte de petite table grillagée sur laquelle reposent quelques objets sonnants et trébuchants et qu’il fait vibrer avec diverses barres de métal, accessoires, etc. Le concert tarde à démarrer parce qu’il y a un buzz persistant dans la sono, ce qui énerve à juste titre Mr Labrador dont le (mauvais) poil se hérisse à vue d’œil et qui du coup va devoir se passer d’une partie de l’amplification s’il veut être entendu correctement (le monde à l’envers, quoi). En attendant l’heure tourne et la mise en place est bien longue, longue, longue…
La musique de Mr Labrador est finalement tout ce qu’il y a de plus classique dans le genre, l’intérêt réside donc plus dans la façon de faire, la petit table, les frottements métalliques, les vibrations, tout ça. Après un début calme et atmosphérique les choses s’enveniment bien évidemment dans le bruitiste et le fracas, cette fois avec plus de réussite. Mr Labrador sait gérer son temps, ne joue pas trop longtemps et se montre par conséquent suffisamment captivant. Pas de quoi se rouler par terre sur la belle moquette rouge de Grrrnd Zero, mu de convulsions par une soudaine attaque d’hystérie amoureuse mais un bon concert dont le côté ludique aura donc été gâché par des problèmes de son, on l’aura compris.
















Mr Labrador a publié un disque chez Les Potagers Natures, éminent label qui abrite également Radikal Satan, le groupe étant même en quelque sorte la tête de gondole de cette maison autogérée qui met un point d’honneur à laisser toutes ses productions en libre téléchargement sur son site. Je ne suis pas terriblement fanatique du tango vaudou et du blues cabaret musette de Radikal Satan mais je dois avouer qu’en concert le trio en vaut vraiment la peine. Un peu de mise en scène (quelques bougies, du noir de bouchon autour des yeux, un boa en fausses plumes accroché au synthé) et surtout quelques hectolitres de gnôle pour s’aider à jouer – la bouteille passe de main en main et se videra en un clin d’œil. Le bon carburant pour ce groupe qui sait combiner Screamin’ Jay Hawkins, Jodorowky, les Violent Femmes et Astor Piazzolla.
Malheureusement et comme d’habitude Radikal Satan joue trop longtemps et s’éternise sur scène. Ses membres sont de plus en plus bourrés, à l’image du batteur qui pourtant continue vaillamment à battre la mesure avec des grelots attachés à une cheville et la durée du concert s’allonge jusqu’à rendre les choses horriblement lassantes. Les sursauts du contrebassiste/chanteur/guitariste, les strip-teases de l’accordéoniste/clavier et les rythmes presque free jazz du batteur ne suffisent plus à alimenter la tension et la punkitude de Radikal Satan qui s’essoufflent inexorablement. Ne s’en rendant pas compte, le groupe continuer de jouer, annonçant sans cesse un nouveau dernier morceau, pour finir sur un ultime titre vraiment pénible joué en compagnie de Mr Labrador (de retour avec le buzz dans la sono). Dommage parce que ce groupe peut être vraiment bon mais ne sait pas associer sa déraison avec plus de concision. A noter que personne n’a vomi pendant le concert.
















Il est plus de minuit et demi lorsque Headwar s’installe, non pas sur la scène mais sur le côté, par terre. C’est pour ce groupe originaire d’Amiens que j’ai fait le déplacement ce soir et je ne vais pas être déçu. Son Louche, un LP qui regroupe les deux premières démos du groupe – et qui n’a toujours pas été chroniqué ici, c’est une vraie honte – a bien tourné l’année dernière dans la boite à musique. Il ne me manquait que l’expérience du live. Ils sont quatre, trois garçons et une fille (je vous laisse calculer tout ça parce qu’il est vraiment tard) et mis à part le batteur qui restera batteur/cascadeur toute la soirée, les trois autres se partagent le chant, les guitares, la basse, les percussions et le synthétiseur. La plupart des instruments sont customisés, le groupe joue en position très resserrée avec le public massé autour au plus près. Ça va être chaud.
Surtout Headwar joue très fort, violemment, avec des guitares qui doivent tout ou presque à l’antique no-wave new yorkaise – je suis aux anges – mais sans aucun respect ni ostentation, c’est même l’une des rares fois où j’assiste à un concert d’un groupe revendiquant ouvertement ce genre d’influences mais le faisant sans prétention arty aucune, à la punk, sans trop réfléchir. Faudrait qu’un label hautement philanthrope et généreux pense un jour à publier un split Headwar/Halgux Valgus, ce serait assurément le disque de l’année. Le Grrrnd Zero tremble, le choc est intense et ça braille, ça hurle, les guitares dégueulent de dissonances, les rythmiques sont d’un tribalisme ravageur, le synthé d’un malsain parfait. Headwar se contracte, se dilate, exulte, pleure, gerbe, brûle, assassine, explose et au bout d’une courte demi heure d’un chaos limite désespéré le groupe envoie tout valdinguer, ses instruments comme le public médusé. Le coin de la salle où Headwar a joué ne ressemble plus qu’à un immense bordel. Il n’y a pas d’autre solution que de partir au plus vite de Grrrnd Zero pour garder intacte la sensation de la déflagration. Dehors, je vois le batteur, épuisé, qui est déjà sorti et s’est allongé sur le trottoir, je n’ose pas aller le voir.