mardi 31 mars 2009

Kiss my jazz (again)























Autant le mois de février a été chargé en concerts de toutes sortes, autant celui de mars s’est révélé être un vrai désert : rien à se mettre sous la dent depuis celui de KK Null en début de mois, rien de rien mais soyons honnête pour une fois, j’ai fait quelques impasses telles que Cult Of Luna à l’Epicerie Moderne ou Frustration au Ninkasi… je comptais bien lire quelque part des reports passionnés et en bonne et due forme mais apparemment je ne suis pas le seul à être flémard ou à travailler le week end, ce qui contrairement aux apparences n’est pas forcément incompatible. Tant pis pour la grosse cavalerie, le post hard core et le neo post punk variétal. Je continuerai à aller voir des concerts de merde dans des lieux pourris (mais avec ce supplément d’âme nécessaire et bénéfique).
Dernière chance pour se rattraper un petit peu et oublier trois semaine d’abstinence : prendre ce dimanche soir la direction du Grrrnd Zero à Gerland pour assister à un concert Gaffer records. Petite déconvenue, le duo de musiciens norvégiens formé du batteur Dag Erik Knedal Andersen et du guitariste Stian Westerhus ne jouera pas, nos deux improvisateurs ont eu trop d’annulations de dates dans leur tournée européenne et donc trop de trous à reboucher pour ne pas y laisser des plumes, la décision la plus logique et la plus sage pour eux a été de tout annuler. Dommage mais il n’y a pas d’omelette sans casser d’œufs.


















Le premier groupe à jouer ce soir c’est Kandinsky, enfin plutôt de groupe on devrait parler de collectif puisque Kandinsky se veut à géométrie variable. Par rapport à la fois précédente ces jeunes gens ne sont que quatre, ils ont en route perdu le clavier fou de Fat 32. De même la formation à deux (guitare et batterie) semble avoir été définitivement oubliée. Le principe est par contre toujours le même : on joue, on improvise, on fait du barouf et on voit ce qui se passe. Cette méthode expéditive peut aussi bien porter ses fruits que tourner lamentablement à vide.
Seul point de départ, seul indice de la connivence souhaitée entre les quatre musiciens : démarrer par une rythmique répétitive et tribale qui ira en s’accentuant tout du long -un peu dans la lignée d’un Faust. Alors qu’ils avaient prévu de répéter dans l’après midi (chose qu’ils n’ont évidemment pas faite, on est punk ou on ne l’est pas), les deux bidouilleurs, le bassiste et le batteur s’entendent rapidement à merveille, dépliant une longue impro bruitiste mais captivante -c’est l’effet Werner Diermaier ?- où chacun trouve sa place, définit son propre espace sans empiéter sur celui du voisin mais au contraire le complétant, l’enrichissant toujours plus. Résultat, le set de Kandinsky tourne à l’incantation, à la danse des esprits et le pire c’est que le groupe nous fera le coup deux fois pendant le concert.
Je me demande toujours aussi par quelque miracle de bricolage le spécialiste es pipo-bimbo (pas le suceur de micro, l’autre) est arrivé à sortir des sons à la fois aussi virulents et aussi chauds de tout son attirail posé sur une table, parvenant presque à imiter un instrument à vent en colère. Ces deux là (les deux bidouilleurs) partiront d’ailleurs dans une échappée en solitaire plutôt réussie et concluant dignement le set alors que l’on sentait le bassiste et le batteur prêts à repartir au quart de tour pour en découdre dans un grand bordel final et nous refaire une troisième fois le coup de l’ascenseur. Ce ne sera donc pas le cas mais mine de rien presque une heure vient de s’écouler à la vitesse d’un éclair…























Les norvégiens ne sont pas là mais il reste une curiosité : RYR, un trio free jazz (pour faire simple) issu du collectif Grolektif (haha). Jamais entendu parler de ces jeunes gens, jamais entendu parler non plus de cette association de jazzmen hyperactifs et débordants de vie. RYR est l’acronyme formé par la première lettre des prénoms de chaque musicien : R pour Rodolphe Loubatière (batterie et objets divers), Y pour Yoann Durant (saxophones alto et soprano, nez de clown et sac à bordel) et R comme Romain Dugelay (saxophones baryton et alto).
Le free joué par ces trois musiciens est étonnamment varié et ludique. Après un bref éclat, le trio commence vraiment par des bruits de tuyaux, des jeux sur le souffle, des petits bruits de percussions en utilisant uniquement les clefs des saxophones dans une démarche assez proche de celle de Greg Kelley et Bhob Rainey -c’est quand même plus facile à prononcer que Nmperign- et allant jusqu’aux limites du silence, de l’attente et de la tension. Musique captivante et drôle à la fois, posée mais énergique, virtuose mais directe.























Aussi lorsque les battements s’accélèrent, lorsque les saxophones se mettent à hurler, on n’y croit tout d’abord pas, déjà trop habitué à la précédente démarche d’effacement. Mais le groupe ne s’arrête pas là, optant par un virage à 90° pour une tournure à nouveau plus bruitiste de sa musique, le batteur qui gratouille sa caisse claire avec une cymbale, le saxophoniste de droite (alto et soprano donc) déversant d’un vieux sac en cuir quantité d’objets incongrus mais générateurs de bruit -sac en plastique qu’il froisse, poêle à frire, bouts de métal et une longue chaîne qu’il déroule lentement- ou jouant avec un tube d’alimentation d’eau pour machine à laver.
Là où RYR réussit pleinement, c’est en recyclant quelques vieilles techniques déjà bien connues pour ne pas dire usées avec un enthousiasme et une fraîcheur que l’on penserait d’ordinaire réservés à un vulgaire groupe de rock. Mais RYR est un groupe de free jazz et de musique improvisée. Disons que le trio arrive à jouer avec une décontraction totale et très assumée tout en assurant une vision franche et claire de sa musique. J’imagine même que si je les revoyais dès demain, leur set serait totalement différent alors qu’ils joueraient exactement la même musique.
Pour finir, le disque que le trio a publié (c’est même son premier) et dont l’enregistrement date déjà de plus d’une année est plus classiquement free -pas de bruits de bouches ou de cliquetis de clefs de saxophones- mais pas moins intéressant et pas moins passionnant. Plus proche d’un certain soucis harmonique bien que toujours traversé par des fulgurances free, on pense parfois à Tim Berne et à sa série d’albums publiés sur son propre label Screwgun records dans les années 90. On en reparlera à l’occasion.