lundi 3 novembre 2008

You can kiss my jazz


En fait il y a une deuxième façon de deviner qu’un concert est un concert Gaffer : il suffit de regarder le flyer et de se rendre compte que le mardi 29 octobre 2008 n’existe pas. Si si, ceci est une histoire vraie. Passée la grosse envie de rire -d’autant plus qu’il s’agit d’un cas manifeste de récidive- et renseignements pris, le concert de Kandinsky et de Supersonic Rocketship a bien lieu le 29 et c’est un mercredi, le jour des enfants.
Un jour de pluie, un jour de froid et de vent aussi : j’arrive devant l’immeuble qui abrite les bureaux du Grrrnd Zero complètement transi mais plein d’espoir, celui ne pas avoir fait tout ce chemin à vélo pour assister à un mauvais concert. Le préposé à la caisse m’accueille chaleureusement, ce qui fait toujours très plaisir, merci. Ce soir le prix est libre et personne ne s’attend à une grosse audience, les têtes habituelles sont déjà là mais tandis que Kandinsky termine d’installer son matériel et de faire ses réglages du monde arrive -des curieux, des étudiants en fin de mois, des jazzophiles, que sais-je. Finalement il y aura un peu de public ce soir, preuve qu’organiser des concerts de musique improvisée n’est pas si impossible que ça dans une ville où ce genre de musique -très spécifique- fait cruellement défaut.



















Pour celles et ceux qui ont déjà vu ou entendu Kandinsky (pour mémoire et parce que l’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, une chronique de l’un des derniers enregistrements du groupe avant sa métamorphose en hydre à cinq têtes), celui-ci a radicalement changé : le but est toujours de nous casser les oreilles avec un maximum d’efficacité en un minimum de temps mais d’un duo Kandinsky s’est transformé en quintet. Je ne connais pas tous les membres actuels du groupe (notamment le garçon installé à une table au milieu et qui m’avait l’air d’être un spécialiste es pipo-bimbo) mais signalons la présence désormais du clavier fou de Fat32, du bassiste de Lewis Karloff, d’un suceur de micro connu sous le nom de I’m A Grizzly (mais également membre de No Snow avec François Virot) et bien sûr du chef de la bande à la batterie, monsieur Gaffer himself -aucune trace du guitariste à l’horizon, mais qu’est ce qui se passe ?
Qu’importe finalement ? Kandinsky entame son set calmement, c’est presque la routine du genre, chaque membre du collectif ajoutant progressivement et tour à tour de nouveaux éléments. Je remarque que le clavier qui joue de manière nettement plus posée que dans Fat32 (il faut dire que le garçon est un véritable virtuose doublé d’un imaginatif forcené) tandis que le bassiste, au jeu sobre mais efficace, me fait tendre l’oreille. Kandinsky déballe ses improvisations d’une seule traite, alternant explosions soniques et accalmies stressantes, mention spéciale à ce passage drivé par une ligne de basse bougrement captivante sur laquelle chacun se greffe, jusqu’au batteur qui se met à tricoter des points à l’envers comme s’il avait fait ça toute sa vie.
La principale qualité de ce concert, c’est que les cinq ont su alterner quand il le fallait : aucun plan, aussi bon soit il, n’a tourné plus que nécessaire, jusqu’à ce qu’il en devienne barbant et/ou redondant (ce qui est en général le principal défaut des formations oeuvrant dans la musique improvisée, qu’elle soit bruitiste ou non). De la concision donc, une certaine lucidité mais également de l’aventurisme et du bouillonnement, vraiment pas mal pour un groupe qui n’avait jusqu’ici répété ensemble que deux fois et demi.


















Je ne connaissais rien de Supersonic Rocketship avant ce concert, j’avais juste un peu peur à cause du nom du groupe (pas de très bon goût quand même) et surtout à cause de la présence d’un guitariste. Je ne sais pas ce qui me faisait craindre de quelconques circonvolutions progressives, la grosse tare des musiciens qui mélangent jazz et rock tout en ayant les oreilles en duplex avec leur nombril. En voyant arriver le garçon tous mes doutes ont disparu : non seulement il arbore un t-shirt Zu -on a fait pire- mais il porte de magnifiques rouflaquettes tellement longues qu’elles tirent vers le collier de barde. Une telle (double) preuve de savoir-vivre ne pouvait être que de bonne augure.
Supersonic Rocketship joue un free jazz d’inspiration somme toute classique, c’est même très étonnant de voir des types aussi jeunes jouer une musique vieille d’au moins quarante ans. Leur freeture est parsemée d’incursion légèrement rock (mais dans le sens noise du terme), tout ça grâce au guitariste qui a recours à quelques artifices techniques genre pédales etc, mais globalement c’est vraiment du traditionnel dans sa version la plus ultime et fulgurante telle qu’un Peter Brötzmann l’avait poussée dans ses derniers retranchements à la fin des années 60 et telle qu’un Mats Gustaffson ou un Assif Tsahar la perpétue encore aujourd’hui.
Le batteur joue très haut, la caisse claire légèrement inclinée vers l’avant, tout dans les poignets donc ce qui ne l’empêche pas de développer un jeu puissant et torsadé. Le contrebassiste le suit docilement, trop peut être, et a été un bien discret. Seul véritable bémol, le saxophoniste (ténor) limité dans son phrasé, des fois le souffle court, manquant d’aptitude aux rebondissements et d’esprit de cabriole -oui il n’arrête pas de faire des couics et des couacs mais cela n’est pas suffisant. Un niveau de jeu correct pour un garçon de son âge, ne soyons pas trop dur non plus.
Au delà du plaisir évident et snob de se taper un concert de free jazz (ce qui n’arrive pas tous les jours, loin de là), Supersonic Rocketship a assuré son revival musical avec une certaine aisance et il faut le dire une certaine classe. Les quatre garçons saluent poliment à la fin de leur set, le batteur a transpiré -ça c’est un signe qui ne trompe pas- et le public se disperse après quelques applaudissements contenus.

[et pour celles et ceux que cela intéresse, la suite du Gafferthon c’est le mercredi 5 novembre exactement au même endroit avec Magic Barbecue -un moitié de Pneu, le batteur je crois, Anes Et Bateaux et Sheik Anorak -bien évidemment]