dimanche 30 novembre 2008

Le feu !
























Jeudi soir. Il est quelques minutes avant 20 heures et j’ai toute la ville à traverser en vélo dans un froid hivernal humide et pénétrant pour rejoindre le Grrrnd Zero à Vaise. Qu’est ce que je n’aurais pas donné pour que le concert de ce soir se déroule juste à côté de l’endroit où je me trouve à cet instant précis, à Grrrnd Gerland, même si les conditions de ce second lieu sont limites et auraient rendu les choses ingérables pour l’organisation : cela avait déjà été assez chaotique lors de la venue en septembre des athlètes de The Locust alors je n’ose imaginer l’émeute pour un concert de Lightning Bolt. Du moins j’essaie d’imaginer car je n’ai encore jamais vu le duo de Providence en concert -lors de son précédent passage il y a quatre ans j’étais occupé bien loin de cette ville, beaucoup trop loin finalement pour avoir à regretter quoi que ce soit, des fois on ne choisit pas (mais heureusement cela n’arrive que très rarement). J’ai donc le verrou électrique encore vierge.
Je me dépêche car j’ai deux raisons de ne pas arriver en retard : SoCRaTeS et Chewbacca. Je ne sais pas quel groupe va jouer en premier mais je ne veux rater aucun des deux. Lorsque j’arrive finalement un peu en avance au Rail Théatre j’entends SoCRaTes qui termine ses balances, au moins j’ai ma réponse. Il y a déjà un petit attroupement qui attend l’ouverture des portes de la salle (c’est toujours bon signe) et pour passer le temps cela discute du Sonic qui a été cambriolé pendant la semaine -plus de table de mixage ni de micros, bar et fonds de caisse dévalisés, en résumé la grosse merde- et du projet d’organiser un concert de soutient à la salle. Après le refus de la mairie de lui allouer des subventions pour l’année 2008/2009, le Sonic est au plus mal, certains appellent cela la malédiction lyonnaise (l’Exit, le Pezner, le [kafé mysik]…
























Le concert d’Agathe Max qui a eu lieu la veille au même endroit (avec Marion d’Overmars à la batterie sur les deux derniers titres) constitue la dernière conversation avant le début de la soirée. C’était apparemment très bien, du coup je regrette un peu mon absence en ce mercredi mais j’espère que ces deux là renouvelleront l’expérience un jour prochain.
C’est devant une salle à moitié vide que SoCRaTeS commence à jouer. Le trio tient toujours à cette disposition triangulaire (à gauche la chanteuse, à droit le batteur et au fond le guitariste) qui permet aux trois de se regarder pendant qu’ils jouent sans pour autant exclure les personnes venues les voir et les entendre et qui surtout a l’avantage de ne mettre aucun des membres du groupes en avant, le genre de tentation trop facile pour un groupe lorsqu’il a une chanteuse. SoCRaTeS a déjà l’intelligence de ne pas jouer à ce petit jeu là.
Je découvre quelques nouveaux titres, du moins des titres qui ne figurent pas sur l’excellent EP More Vultures, Hyenas And Coyotes (encore une chronique pleine de naïveté) et ils sont de très bon augure pour l’album que le groupe se promet enfin d’enregistrer et de publier pour l’année 2009. La no wave est toujours très présente dans la musique de SoCRaTeS mais celle-ci a atteint un échelon supérieur question classe et finesse, de vraies mélodies qui dérouillent, des déflagrations de guitare, la batterie qui lui colle d’un peu trop près (dans mon souvenir le batteur était plus aventureux) -un bon concert pour une musique sèche, vibrante et racée. Des titres anciens sont intercalés, In Bed… In Bed me fait toujours autant d’effet, merci de l’avoir joué cette fois encore. Lorsque les lumières se rallument la salle s’est bien remplie. 
























C’est au tour de Chewbacca. Le duo batterie et voix avait été réellement impressionnant lors de son passage en juin dernier avant Melt Banana : folie, inventivité et concision étaient bien au rendez-vous -le problème de Chewbacca est que le groupe a parfois un peu tendance à trop jouer, à essouffler ses élans, à user ses (bonnes) idées jusqu’à la corde ; une certaine concision va mieux au duo qui ne sait pas toujours éviter cet écueil propre à beaucoup de formations qui laissent une grande part d’improvisation dans leur musique. Mais avant toutes choses, Damien (voix) lance un appel à soutient au Sonic, expliquant qu’il ne faut pas laisser la salle lyonnaise mourir après ses mésaventures et précise qu’il y a une caisse à côté du bar pour qui souhaite donner quelque chose.
L’effet de surprise a depuis longtemps disparu avec Chewbacca et je mets un peu de temps avant de pouvoir entrer complètement dans le concert. Pourtant le groupe fait bien ce qu’il sait faire, Damien bidouille sa voix pour élaborer une sorte de grind oral tandis que monsieur Duracell installe un beat volumineux, massif et hypnotique. Son jeu est très physique et je me demande toujours comment il arrive à tenir la cadence (infernale) sans hurler de douleur sous les assauts de crampes. A mi concert je crains que Chewbacca ne succombe au délayage mais la machine repart. Pendant ce temps une bande d’hurluberlus sans doute illuminés à la pensée d’assister après à un concert de Lightning Bolt se mettent à se rouler par terre devant la scène en hurlant le nom de leur groupe fétiche -l’un d’entre eux vient me faire un bisou en me demandant si je suis amour aujourd’hui, il comprend rapidement que non et retourne faire l’andouille avec ses amis.
Chewbacca annonce que c’est fini avant de se raviser et de jouer un dernier titre, violent et tendu. Ça exulte sévère dans le public, tout le monde est bien chaud pour les américains. Changement de plateau.
























Les deux premiers groupes de la soirée ont joué sur la scène. Fidèle à ses habitudes Lightning Bolt jouera par terre, coincé dans un angle du Rail Théâtre. Heureusement cette salle est dotée d’une mezzanine et de deux passerelles latérales. Les deux options offertes sont soit de rester au même niveau que le groupe pour danser la bourrée à même le sol soit de prendre un peu de hauteur pour profiter du spectacle. En bon pépère de famille je choisis de grimper sur la scène juste à côté des amplis du groupe pour regarder tout ça d’assez près. Lightning Bolt est rapidement cerné de toutes parts, la passerelle au dessus de la tête du duo est noire de monde. Les barrières de sécurité qui séparent le groupe du public sont enlevées. Les gens se rapprochent encore.
Le début du set est ultra chaotique. Le public est tellement proche des deux musiciens que cela les empêche de jouer. Le batteur (il s’appelle Brian) monte sur son tabouret pour invectiver la foule, demande aux personnes de reculer et finalement évacue derrière lui un pied de cymbale devenu inutile parce qu’il n’arrête pas de tomber, sa batterie devient encore plus minimale. Pour ne rien arranger le bassiste (lui aussi s’appelle Brian) a des problèmes de sons et le concert est interrompu, improvisation batterie et voix sans intérêt de la part du batteur, nouvelles demandes au public de se reculer -je souris à l’idée que ces deux là essaie d’éteindre un feu qu’ils ont eux même allumé et qu’ils ne savent pas maîtriser, Lightning Bolt a tout du groupe bidon qui n’a rien à offrir si ce n’est une attitude digne de poseurs. La suite va rapidement prouver que je me trompe.



















Les problèmes de basse définitivement réglés, le groupe repart et ne s’arrêtera plus. Le son prend enfin de l’ampleur et de l’épaisseur, les oreilles saignent. Le public se déchaîne et voir cette marée humaine bouger, onduler follement au son des rythmes et du groove de Lightning Bolt est un spectacle à lui tout seul. Un spectacle incroyable de liberté. J’ai beau chercher, je ne vois pas les agités qui s’illustraient pendant Chewbacca, même mon bisouilleur à disparu. La première mauvaise impression laissée par les deux Brian est vite effacée, la fosse devient un magma bouillonnant tandis que ceux qui ont choisi de regarder d’un peu plus loin sont tétanisés par toute la furie dégagée par le duo.
Le groupe alterne passages ultra rythmiques -quel batteur incroyable, il ne s’arrête jamais- arrosés de lignes de basses ultra saturées et passages disco punk qui donnent invariablement envie de se trémousser. Autant le batteur est une pile électrique, autant le bassiste reste concentré sur son jeu, la tête souvent baissée. Je m’aperçois qu’il joue de sa cinq cordes aux doigts, sans médiator, alors qu’il arrive à dégager une puissance de jeu incroyable de densité (non les amplis et les pédales d’effets ne font pas tout). Formidable duo, belle complémentarité, grosse et forte sensation. Pour finir, le batteur se permet une fois de plus quelques fantaisies en escaladant la passerelle au dessus de sa tête avant de disparaître dans le public.
Il revient quelques minutes plus tard et Lightning Bolt recommence à jouer pour atteindre un nouveau paroxysme de folie collective, grosse ruades dans le public, nouveaux mouvements de foule mais le groupe tient bon, continue à jouer et on dirait bien que les deux se nourrissent l’un de l’autre dans un moment de pure magie. C’est cette dernière impression qui restera d’un concert fabuleux il faut bien le dire, cette impression et des acouphènes persistants pendant toute la journée du lendemain. Lightning Bolt n’a pas failli à sa réputation : je suis reparti du Rail Théâtre la tête ailleurs et à moitié sourd.