samedi 7 juin 2008

Chewbacca ! Melt Banana !

























Je passe l’après midi à la maison, j’ai fait craquer le boulot et je joue encore au jeu de l’oie avec les filles lorsque je me rends compte de l’heure : j’ai tout juste le temps de lancer une dernière fois les dés avant de partir pour le concert de Melt Banana. Un 2 et un 1 ça fait 3, je suis nul à chier question chance et de toutes façons j’ai lamentablement perdu. Je prendrai ma revanche (aux petits chevaux) sur les gamines une autre fois. Je ne veux pas être en retard.
Ce concert a presque commencé avec une bonne grosse blague, le bruit a couru dans la journée que Melt Banana était annulé, l’info venant d’un ou deux forums, suite à une erreur de manipulation : en fait c’est Dan Deacon (un nerd en anorak dont je n’ai jamais entendu parler) qui est annulé, c’est même toute la tournée européenne du bonhomme qui est à l’eau mais que l’on se rassure parce qu’il a d’ores et déjà promis qu’il reviendrait au mois de novembre, avis aux amateurs de musiques débiles.
Et des amateurs de musiques débiles, il y en a beaucoup si j’en crois la foule qui glande en début de soirée devant le Rail Théâtre -le vrai petit nom du Grrrnd Zero- mais entre celles et ceux qui ne sont pas encore rentrés, ceux et celles qui sont déjà ressortis c’est difficile de se faire une idée exacte. Un peu avant 22 heures l’organisateur du bordel avait déjà comptabilisé plus de trois cents entrées payantes, vu le nombre de personnes arrivées sur le tard, on peut estimer que l’on a frisé les quatre cents. Quatre cents personnes pour venir admirer des japonais(e)s hystériques, je n’en reviens toujours pas… mais c’est vrai que Melt Banana a toujours rameuté du monde : la première fois que le groupe avait joué ici (dans exactement la même salle) c’était au cours d’une tournée commune avec US Maple en 1996 -il y avait Sister Iodine et Bästard en première partie, grosse grosse soirée- c’est à dire alors que le buzz qui faisait se pâmer les foules pour tout ce qui venait du pays du soleil levant fonctionnait déjà à plein régime. Il y a donc toujours autant voire même de plus en plus de monde pour les concerts des quatre japonais, je me sens rajeunir d’un coup et avance gaillardement de quatre cases.
Je dois toutefois avouer que l’excitation suscité par le groupe n’est plus exactement la même en ce qui me concerne. Melt Banana s’est petit à petit essoufflé, les albums ont parfois viré à la catastrophe (Cell Scape et dans une moindre mesure Teeny Shiny) mais heureusement que Bambi's Dilemma, le petit dernier, a fort à propos remis les choses à leur place l’année dernière.



















Reste, avant de pouvoir regoûter au phénomène, à se taper toutes les premières parties de ce soir. L’organisateur n’étant pas avare et malgré la défection de Dan le roi de la déconne il y a encore deux autres groupes de prévus. Le premier n’est pas des moindres puisque ce n’est autre que Sabot, duo américain émigré depuis des lustres en Tchéquie et composé de Chris Rankin à la basse et de Hilary Binder à la batterie -également couple à la ville mais ça on s’en fout un peu beaucoup, les gens ont bien le droit d’occuper leurs loisirs comme ils le veulent, engendrer des gosses pour passer les après-midi pluvieux à faire des jeux idiots avec, pourquoi pas, ou bien s'oxygéner le temps de cerveau disponible aux videogames comme les membres de Melt Banana, c’est chacun qui voit.
Nos deux expatriés jouent très très bien, très très technique et pas avec leurs pieds (dans le même sabot). Ils pratiquent ce que l’on appelle stupidement du jazzcore. Comme d’habitude avec eux le concert a été agréable, le duo arrive à explorer tous les recoins d’une formation a priori limitée et explose régulièrement ses limites. Bon, l’impression de se taper un concert de NoMeansNo sans guitare et sans voix mais quand même avec un sourire bien niais aux lèvres ne quitte pas le spectateur lambda, la démonstration et la précision laissant peu à peu la place à la lassitude.
Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu le groupe en concert, parfois pour le meilleur mais jamais pour le pire. Sabot a effectué d’innombrables tournées européennes, est passé un nombre incalculable de fois dans tous les bleds pourris de France (même à Aurillac ?) ce qui fait qu’il aurait vraiment fallu que je mette de la mauvaise volonté pour les rater systématiquement. Alors revoir le duo une fois de plus me file un bon coup de vieux, j’en prend pour une bonne dizaine d’années dans les dents et recule de six cases. Pendant que ça tricote sur scène je regarde en l’air vers les coursives latérales, là où Mark Shippy avait assuré la totalité du concert de US Maple, assis sur une chaise, pour cause de pied dans le plâtre. Un concert de grand classe.





















 

La classe, Jean Louis Costes lui ne sait pas ce que c’est. Ce soir il propose une version chanson française de ses délires habituels (mais à tout bien prendre j’aurais préféré qu’il fasse semblant de chier sur scène et s’amuse avec un gros caca en plastique), enfin chanson si on veut parce qu’il ne chante pas, il beugle et il joue plus du synthé comme ma fille de trois ans que comme Charly Oleg. Costes porte un magnifique t-shirt de la librairie Grand Guignol , picole une bouteille de rouge parce que ça l’aide à chanter et enchaîne sur des histoires de sang et d’urine, d’enculade, de peine à jouir ou de merde mais je ne comprends qu’un mot sur deux, sauf lorsqu’il se met à insulter Olivier Besancenot, je cite de mémoire : tu veux la révolution connard mais lorsqu’il y aura la révolution tu n’auras plus ta petite maison de bourgeois.
Une partie du public a l’air franchement consternée mais une autre a l’air de bien s’amuser, j’en vois même qui chantent les paroles, ils doivent déjà avoir les disques c’est sûr. Costes termine sa prestation (et sa bouteille de rouge) sur un mon père me disait toujours que je ne suis qu’une merde et que je ne mérite pas de vivre et il avait raison. Grosse ovation dans la salle. Et oui. Il y a longtemps que j’ai arrêté de m’intéresser à ce qui se passe sur scène, je gagne un tour gratuit et je passe par le case bar où je recule de deux cases. Je fouille dans des bacs de disques et je trouve un tout nouveau single de Ned, sur Motive Sounds recordings. Joie : je tope le double 6 et le droit de rejouer de suite, je récupère mes deux cases immédiatement.






















 


Changement de plateau, quelques mouvements de foule, certains s’approchent de la scène pour être aux premières loges pendant le concert de Melt Banana mais on y installe une table d’effets et une batterie riquiqui. Visiblement il y a un groupe en remplacement de Dan Deacon et mes derniers espoirs de ne pas me coucher trop tard s’envolent aussitôt. C’est ça devenir vieux. En voyant débarquer Andrew Duracell et Damien MC Dada je comprends que c’est Chewbacca qui va jouer les remplaçants, finalement je rajeunis et avance aussitôt de trois cases sans passer par la prison. Damien fait une annonce et c’est parti : il assure les sons avec sa voix amplifiée, trafiquée, métamorphosée, hachée, tandis que Duracell se lance dans son habituelle frénésie rythmique, donnez une double pédale à ce type et il vous niquera tous les stéroïdés du blast de la terre entière. Damien est particulièrement en voix et particulièrement déchaîné ce soir, l’alchimie si intense et propre à Chewbacca vire de façon exponentielle à la fusion tellurique, un vrai saccage ou comment faire du kraut grind groovy avec juste une voix et une batterie. Encore un concert exceptionnel de la part du duo et dans la salle du Grrrnd Zero on ne s’y trompe pas, la fin du concert est saluée par une salve d’hurlements. Ouch.





















 


Je reste devant, on ne me la fera pas à moi et je ne veux pas rater ça. Je ne suis pas le seul à avoir ce genre d’idée stupide, je papote un brin impatient avec un grand gaillard bien installé juste à côté et qui a fait les trois cents kilomètres depuis Aurillac pour voir Melt Banana pour la première fois de sa vie. Je n’ose pas lui demander s’il avait déjà vu Sabot.
Cette fois ci c’est la bonne,
Melt Banana investit la scène, Rika la bassiste à gauche, Agata le guitariste (toujours avec son masque sanitaire de protection) à droite et encore un nouveau batteur. C’est fini les remplacements assurés par Dave Witte -Discordance Axis, Burnt By The Sun, une vraie machine celui là- et si les derniers albums, notamment Cell Scape, ont paraît il été enregistrés avec l’aide d’une beat box il est hors de question pour Melt Banana de ne pas avoir de vrai batteur sur scène. L’heureux élu va rapidement prouver qu’il n’a rien à envier à Sudoh, parti depuis bien longtemps.
Le son n’est pas très bon lorsque le groupe commence à jouer mais il s’améliore très rapidement, on entend distinctement la basse (c’est toujours amusant de voir Rika à peine plus grande que son instrument), la batterie, les torpilles sifflantes lancées pas la guitare d’Agata -et qui doivent autant à la no wave qu’aux pédales d’effets numériques du guitariste- et par dessus toute cette furie la voix suraiguë de Yasuko. Le groupe panache nouveaux et anciens titres, le vernis plus pop des deux derniers albums est balayé, c’est du grand Melt Banana auquel nous assistons, certes sans aucune nouveauté pour qui a déjà vu le groupe en concert.






















 


Passage obligé à mi parcours par la démonstration annoncée et l’exécution de huit -oui, quatre plus quatre- titres les uns à la suite des autres, bien évidemment les titres en question ne dépassent pas la poignée de secondes. J’ai toujours trouvé ça drôle bien que l’effet de surprise ne soit plus là. Le groupe a clairement trouvé sa formule magique et il ne la lâchera plus. Melt Banana fait du Melt Banana, ils sont en forme (OK, ça bouge moins qu’auparavant ou alors c’est encore cette satanée foutu mémoire qui me fait idéaliser à plein régime) mais je sens que chaque concert du groupe risque désormais de se transformer en pèlerinage -mesdames et messieurs venez voir les Ramones du nitendo core et de la no wave infantile, compatibles avec PS3 et Wii. Mais je reste profondément amoureux et retournerai voir Melt Banana dans quelques années, si le groupe existe encore. Je lance les dés une dernière fois et arrache un 5 et 2 : j’avance jusqu’à une case qui m’indique retournez d’où vous venez. C’est bien comme ça.
C’est le (faux) rappel, un chien aboie et Melt Banana se lance dans Blank Page Of The Blind, le meilleur titre de Bambi’s Dilemma, avant de se transformer en groupe de ska festif -la seule grosse erreur de ce concert mais elle est vraiment de taille- en reprenant un vieux truc jamaïcain, peut être bien Monkey Man de Toots & The Maytals enregistré pour un split single de 2002 chez Fork In Hand records mais c’est un disque quasiment inécoutable, je n’ai donc tenté de l’écouter qu’une seule fois alors je ne jurerais de rien. Cette fois ci nos quatre japonais quittent réellement la scène, reviennent malgré tout pour une ultime et courte salve, triomphe emporté haut la main. Total du score en fin de soirée : 4 – 6 + 2 – 2 + 3 = 1. Je suis toujours aussi mauvais au jeu de l'oie.