Déjà un peu évoqué ici, le label berlinois Jazzwerkstatt poursuit comme on dit son petit bonhomme de chemin : pas moins de huit nouvelles références ajoutées au catalogue en moins de six mois. Le credo du label reste le même, celui d’une scène improvisée européenne principalement centrée autour de la figure tutélaire de Peter Brötzmann, le grand schtroumpf du free jazz aylerien. Les parutions du label se partagent entre nouveautés et rééditions de disques introuvables, le plus souvent des disques initialement publiés par FMP. Ainsi la référence jw 060 qui en quatre CDs regroupés dans un magnifique coffret propose l’intégralité des enregistrements du Die Like A Dog Quartet (Peter Brötzmann au sax, Toshinori Kondo à la trompette, William Parker à la contrebasse et Hamid Drake à la batterie), à savoir : Framents Of Music, Life And Death Of Albert Ayler (1994), Little Birds Have Fast Hearts part one (1998) et part two (1999) ainsi que Aoyama Crows (2002). L’un des sommets de la carrière de Brötzmann, toujours bloqué c’est vrai sur l’intransigeance de l’époque Machine Gun, mais comment lui en vouloir ?
On parlera du très beau disque de Phil Minton et de Veryan Weston (soit la moitié de 4 Walls) peut être une autre fois mais en attendant concentrons nous sur Low Life/Last Exit. Ce CD bien emballé regroupe deux albums, Low Life du duo Bill Laswell/Peter Brötzmann et Köln de Last Exit c'est-à-dire le quartet Peter Brötzmann/Sonny Sharrock/Bill Laswell/Shannon Jackson. Le principal (et gros) défaut de ce disque c’est que tout ne tenait pas dessus : ainsi Low Life a été amputé d’un titre, Barrier, tandis qu’il manque le Taking A Beating de Köln. L’avantage c’est que Low Life a ainsi à nouveau été rendu disponible et que cette édition double est nettement moins onéreuse que la réédition 2005 du seul Köln chez Atavistic, dans l’excellente collection Unheard Music Series.
A tous les réfractaires de Bill Laswell (dont je fais partie), précisons qu’à l’époque de l’enregistrement de ces deux albums -respectivement 1986 et 1987- celui ci n’abusait pas encore de son fameux son de basse à grosses bulles, ce son qui gâche complètement par exemple un disque comme The Last Wave publié en 1996 par Arcana (soit Laswell et Tony Williams accompagnant Derek Bailey) et occasionne une grosse poilade à chaque fois que l’on essaie d’écouter un enregistrement de la reformation de Massacre (avec Fred Frith et Charles Hayward). Non. Et en particulier sur Lowlife, enregistré à Brooklyn chez Martin Bisi, Laswell a su faire preuve d’une dureté et d’une âpreté de son comme rarement. De son côté, Brötzmann était ce souffleur terroriste au mieux de sa forme, ne se posant aucune question inutile.
Last Exit est un groupe à redécouvrir d’urgence et pour avoir une bonne vue d’ensemble de la discographie du quartet, autant se plonger dans les analyses pertinentes distillées à son sujet par Guts Of Darkness. Avec le recul, c’est la contribution du guitariste Sonny Sharrock qui reste la plus importante. Celui qui a débuté en 1966 en tant que sideman sur le Tauhid de Pharaoh Sanders était le guitariste estampillé jazz le plus sauvage et le plus violent de la planète, jetant toutes les bases du jazz core en intégrant des vrilles noisy à un sens du groove désossé et épineux. Pas loin d’être l’égal de Peter Brötzmann même lorsque celui-ci est au fait de ses hurlements au ténor, Sonny Sharrock est tout simplement inclassable… et pour se faire une petite idée du personnage, il faut lire cette excellente interview réalisée par Jean-François Pauvros.