Ça sent l’été : il fait beaucoup trop chaud, il y a un nombre incroyable de jupettes et de belles jambes dans les rues, les connards d’automobilistes qui ont passé tout l’hiver à insulter les cyclistes qui ne respectent pas ce foutu code de la route se déplacent désormais à vélo et grillent tous les feux rouges qu’ils peuvent, le SMIC est rehaussé de 0.9 % (c’est la lutte pour le pouvoir d’achat) et lorsque j’arrive -très en avance- au Sonic, tous les membres des groupes devant jouer ce soir sont en train de manger et de se prélasser au soleil sur la terrasse de la péniche. Au loin les intégristes et royalistes du quartier d’Ainay répètent, comme tous les mardi, leurs airs de chasse à cour -en tenues de grands veneurs parait-il, un jour il faudra que j’aille vérifier ça de mes propres yeux.
Longtemps indéterminé, le groupe de première partie a enfin été annoncé dans la semaine : Tamagawa est venu en voisin depuis Saint Etienne, et c’est une excellente nouvelle. Tout comme on est en droit d’attendre beaucoup de la tête d’affiche, Sightings, depuis la parution de leur monstrueux album Through The Panama (sur Load records et Ecstatic Peace !), un disque qui a indéniablement fait passer le groupe à la vitesse supérieure.
La soirée tarde réellement à démarrer. Le public n’arrive pas, l’heure avance, la bière coule, les organisateurs font la gueule, ça suppute sur le concert de vendredi prochain (Today Is The Day), ça parle des concerts de la rentrée de septembre, c’est le rituel habituel, la même litanie, les mêmes regrets et les mêmes espoirs, blah blah blah.
Il est à peine plus de 22 heures lorsque Tamagawa commence son set. Contrairement à la dernière fois il est tout seul, tout son attirail est installé sur le devant de la scène, lui-même joue assis sur une chaise. Les touches d’un gros synthé ont été bloquées avec du scotch, notre garçon s’applique en premier lieu à installer des boucles lysergiques, tripatouille un peu, on remarque un vieux réveil digital sur le côté droit de la scène. Tamagawa empoigne sa guitare et superpose des accords en boucle sur la trame préexistante. Le roulis synthétique se transforme petit à petit en volutes psychédéliques, le développement est très lent mais irrésistible, sans accrocs, prenant et incitant à la rêverie comme aux hochements ridicules de la tête (ouais comme les chiens-chiens sur les plages arrières des voitures et qui acquiescent au moindre coup de frein). La musique s’arrête, un peu trop brutalement (pourtant le réveil n’a pas sonné…), mais elle aurait aussi bien pu continuer plus longtemps sur les mêmes motifs. Tamagawa remercie. Il ne jouera pas d’autres titres ce soir et je le regrette, c’était bien parti, confortable (malgré la chaleur), on ne pouvait entrer que tout doucement dans ce concert alors en ressortir aussi vite a un goût d’inachevé et de frustration.
Continuation du rituel annexe aux concerts. De nouveaux arrivants, quelques infos sur la soirée Burning Heads/Adolescents de la veille, deux cents entrées, ça fait que dans cette ville même les vieux ne se déplacent plus pour les concerts de vieux (je n’y suis pas allé non plus, hein…) et qui va aller se rajeunir aux Thugs la semaine prochaine ? Décidemment tout ça sent définitivement l’été.
Pendant que les Sightings s’installent sur scène tout le monde reste consciencieusement dehors car chacun sait qu’une fois les portes fermées et le concert commencé, le Sonic va se transformer en boite à sardines avec sauna et cabine à UV intégrée. La seule solution c’est évidemment de bien s’hydrater.
Le premier titre joué par Sightings est réellement perturbant : pas d’attaque formelle, pas de fil conducteur, un développement qui n’en est pas un, contrairement aux apparences les trois musiciens n’improvisent pas mais obéissent à une logique qui leur est propre, celle qu’ils ont inventé ensemble en montant ce groupe. Le son se montre particulièrement crispant, celui ultra métallique de la guitare (métallique au sens propre, comme lorsque on attaque une tôle d’acier à la meuleuse électrique) tout comme celui du bassiste qui privilégie un jeu percussif et dans les aigus, bourré d’effet.
Lorsque ce même bassiste fracassera la corde du haut de son instrument, cela ne le dérangera pas le moins du monde, il finira la fin du concert sur trois cordes, toujours avec ce jeu bizarre (et parfois lead) qui ne ressemble sûrement pas à ce l’on attend généralement de la pratique d’un tel instrument. Côté curiosité, le batteur n’est pas en reste avec ses pads électroniques reliés à je ne sais quel dispositif installé derrière lui. La batterie sera largement sous exploitée pendant tout le concert et cela représente un sacré manque par rapport à l’album Through The Panama : où est passé le côté tribal et percussif du dernier effort de Sightings ?
Malheureusement, plus le concert avance et plus l’influence de ce disque s’approche de zéro : pas de rythmique tribale donc et pas de mélodies tordues mais accrocheuses non plus. Sur scène Sightings reste très proche de ses tout premiers albums et je comprends mieux pourquoi le groupe a enregistré dans le temps avec ce timbré de Tom Smith. Un morceau court et hurlé accroche l’oreille mais cela reste un concert difficile et hermétique, un peu vain. Le dernier titre joué, répétitif, lancinant et vicieux sera le meilleur du lot. Le concert de Sightings a duré quarante minutes chrono mais vu le caractère complètement fermé et obscur de la musique jouée, c’était peut être largement suffisant. Tout sauf du divertissement, l’exact opposé de la prestation du début de mois de Melt Banana, basée elle uniquement sur le fun et l’efficacité. Mais dans un cas comme dans l’autre il manquait un je ne sais quoi pour réellement faire un bon concert. Un peu de fond, peut être ?