Grey Daturas c’est vraiment un drôle de groupe. Difficile à cataloguer pour qui s’aventurerait à vouloir le faire. Une musique qui glisse entre les doigts dès que l’on essaye de s’en saisir. Mais une musique qui reste durablement en tête. Il y a plein de choses dedans, des choses archi-connues (noise, stoner, indus, psychédélisme, metal… liste non exhaustive) mais impossible de mettre le doigt à l’endroit exact où tout se met en place, où tout semble enfin s’accorder pour nous dire : bonjour, nous sommes les Grey Daturas, un trio australien qui pratique du rock instrumental. Tout ceci est fondamentalement inexact parce que terriblement incomplet mais on s’en contentera.
Grey Daturas vient donc de Melbourne, Australie, ville et pays où le rock’n’roll le plus déviant et le plus sauvage (rien qu’en citant Birthday Party) explose sans crier gare, telle une vieille source affleurant au milieu d’un désert sans fin -un peu de poésie naïve n’a jamais fait de mal à personne. Grey Daturas est à la fois un groupe atypique, qui n’a rien à voir avec le rock racé d’un Witch Hats ou la noise nerveuse d’un Scul Hazzards pour citer deux formations contemporaines, et qui en même temps s’inscrit parfaitement dans cette logique du ailleurs, autrement qui semble animer l’ensemble des groupes australiens intéressants (dont bien sûr les deux déjà cités). Les trois Grey Daturas sont plutôt versatiles, l’écoute de leur excellent Dead In The Woods (2004, réédité l’année dernière chez Crucial Blast) est à ce niveau plutôt périlleuse -oui c’est du rock, souvent bruyant et pas très carré, mais au-delà ? Et bien lorsque on est capable également de singer Monarch à l’occasion d’un split album partagé avec ceux-ci, au point de faire tourner l’auditeur en bourrique, on est sûrement capable de tout.
C’est Neurot records qui publie Return To Disruption, troisième ou quatrième album du groupe qui a également à son actif une flopée de splits en tous genres. Le label de Scott Kelly permet ainsi de donner un éclairage supplémentaire sur les australiens et cela tombe très bien : ce disque le mérite amplement. Tout commence avec la tornade Beyond And Into The Ultimate qui avec sa rythmique bloquée en mode martèlements et ses guitares en continu assène deux ou trois vérités, genre c’est nous, on est énervé et on va faire du bruit. Pas mal du tout pour un groupe qui prétendument improvise tout, ne compose rien et n’a jamais répété, ach ! Mode opératoire auquel on croit bien davantage sur le morceau titre et ses percussions qui gratouillent et qui craquent, un interlude presque, et qui tranche violemment avec les guitares précédentes. Balance Of Conveniance remet le couvercle noise sur la marmite en pleine ébulition et s’achève dans une belle démonstration de larsens. Answered By The Negative est une longue plage où Grey Daturas mélange sludge et psychédélisme. L’art de tout écraser et d’éparpiller les bouts qui restent aux quatre vents. Le mal nommé Unsdisturbed est formellement à déconseiller à tous les allergiques aux crissements et stridences de violons. Demarcation Disputes/Unity est un autre gros morceau psychédélique du disque, spatial et tendu, qui rapproche encore un peu plus la musique des australiens de celles de certains de leurs voisins néo-zélandais pour le côté à la fois nuageux, lo-fi et oppressant des guitares. L’ultime Neuralgia va également dans ce sens, celui d’un brouillard électrique foisonnant, avant de monter en puissance dans un déchaînement de saturation. Un final vraiment parfait.