C’est le gros morceau de la semaine -revoir Today Is The Day et Steve Austin une bonne douzaine d’années après- et c’est aussi le match au sommet : d’un côté le buble core des japonais d’Envy à l’Epicerie Moderne de Feyzin et de l’autre la souffrance et la douleur des maîtres américains du grind noise au Sonic (je plaisante à peine, ce petit jeu inutile des étiquettes est toujours des plus amusants). C’est un peu stupide deux dates bloquées le même jour et pouvant attirer une partie commune du public mais, dans un cas comme dans l’autre, les organisateurs n’ont pas eu beaucoup le choix.
Le Sonic espère avoir du monde, en vue d’une éventuelle affluence je suis supposé aider aux entrées, détail que j’avais complètement oublié car c’était une promesse conclue il y a déjà un bon mois, une éternité quoi. Alors que l’un des tauliers me remémore mes engagements et qu’il commence déjà à se faire des cheveux blancs devant le peu de personnes qui se pressent devant sa salle, j’acquiesce de bonne grâce : ce soir tous mes coups à boire seront offerts par la maison, bingo !
Premier groupe à monter sur scène, Four Question Marks vient de Paris, des gars gentils et bien élevés. OK ils ont un peu des tatouages et certains portent le cheveux long mais rien de terrifiant. Le bassiste (également chanteur) joue sur une cinq cordes et imite parfaitement le bûcheron norvégien en rut un soir de pleine lune. Le son est gras, très gras et le tempo des titres se situe plutôt dans les mediums avec me semble t-il des mesures bancales -ils ont du beaucoup écouter Meshuggah. Je retourne aux entrées pour assurer ma part de contrat et réclamer en échange une nouvelle bière gratuite, de loin le son de Four Question Marks est du genre monolithe mais je suis au regret de déplorer une absence totale d’originalité. C’est du metal, du vrai, à l’image du batteur qui se lève de temps à autre de son tabouret pour nous faire du haut les cornes/vive la chasse aux escargots.
Cela se presse toujours aussi faiblement à l’entrée, l’objectif c’est quand même d’arriver à faire 80 entrées payantes pour au moins payer le cachet des groupes. Four Questions Marks termine son set comme il l’avait commencé, une partie du public totalement indifférent est ressorti prendre l’air, les convaincus collent à la scène, débordements de virilité bon enfant et hurlements de guerriers sanguinaires. Le metal c’est la fête. Le dernier album de Four Question Marks a été publié par Trendkill, label qui est également le tourneur responsable de la tournée Today Is The Day/Jucifer/Complete Failure (tiens, au fait, où est passé le groupe de Amber Valentine ?).
Lorsque Complete Failure, un quatuor grind originaire de Pittsburgh, commence à balancer, je me dis que l’on va enfin s’amuser un peu : une batterie (dotée d’un double pédalier), une guitare et un druide en chemise à carreaux en guise de chanteur. Où est passé le bassiste ? Pour une raison que j’ignore il ne joue pas sur la tournée européenne.
Le son est correct, la guitare est énervante, le chant -comme presque toujours dans ce genre là- est complètement linéaire mais pas assez puissant (n’est pas Kevin Sharp qui veut) et le batteur abuse de sa double pédale… le mécanisme de celle-ci doit être particulièrement bien huilé si j’en juge par la faible vélocité des jambes comparée au son qui sort de la façade. Je passe un bon petit moment à regarder ce batteur jouer comme un robot inexpressif et insensible -un psychopathe de plus?
Le grind core pratiqué par Complete Failure est des plus classiques, répondant à tous les poncifs du genre mais ne possède pas le côté crade d’un Regurgitate ni la tonalité crust d’un Asshole Parade. Le concert devient vite lassant, les passages lents, au lieu d’aérer l’ambiance de pieds qui puent, alourdissent le propos et rétrécissent d’autant l’attention déjà faiblarde que je porte au groupe. Tant pis.
Le changement de plateau est des plus rapides puisque Today Is The Day utilise le batteur de Complete Failure. Ce gars doit avoir une sacrée endurance, cela fait deux mois qu’il fait le mariole sur une scène dans deux groupes consécutifs. Comme le fera remarquer Steve Austin un peu plus tard, ils en sont quand même à la centième date.
Après une intro inutile le trio monte sur scène, branche les guitares et n’attend pas pour mettre une déculottée à un public qui n’attendait que ça pour s’électriser. La musique de Today Is The Day, sans tomber dans le metal gadgetisé, est jouée à la sauce grind : rythme accéléré, double pédale à volonté, guitare Black et Decker, chant guttural ou crié (le bassiste chante également), basse en tournebroche et un son d’une agressivité qui donne envie de mourir, là tout de suite et maintenant.
J’ai le plus grand mal à reconnaître les titres joués, tout est balayé et refondu dans un moule de démence passée au hachoir. Il semble bien que Steve Austin a oublié toute la fatigue d’une épuisante tournée, il a dû se régénérer au topset colombien c’est pas possible autrement, même si c’est le bassiste qui assure le plus le spectacle. Quant au batteur, il commence à être passablement énervant avec son côté Terminator du beat. Bassiste et batteur quittent la scène, Austin entame un interlude patchouli avec le final de If You Want Peace Prepare For War, tablas et sitar inside.
Il ne faudra pas attendre longtemps pour que le groupe soit à nouveau au grand complet sur scène, personne ne le sait mais on n’en est qu’à la première moitié d’un concert qui s’est déjà révélé magistral. Et là, c’est un peu l’avalanche de titres plus anciens, du bonheur. La voix et la façon de chanter de Steve Austin ayant changé avec les années, le son du groupe ayant évolué, cela fait bizarre d’entendre quelques vieilleries dégrossies à grands coups de blasts mais bordel qu’est ce que c’est bon.
Austin casse une corde, ce n’est pas grave, la rythmique continue toute seule et lui se contente de chanter, lorsque il récupère son instrument remis d’aplomb on est bien forcé de constater que cet incident n’a pas entamé sa volonté, bien au contraire. Today Is The Day est plus furieux que jamais.
C’est le moment de faire des papouilles avec le public, déclarations d’amour réciproques, un type trop bourré se fait éjecter de la scène et c’est un Steve Austin épuisé mais visiblement heureux (si si) qui sonne la fin du concert, sans regret, avec ce sentiment partagé que lui et son groupe viennent une nouvelle fois de faire très très fort.
Pendant que l’on démonte le matériel, je m’approche de la scène pour jeter un coup d’œil sur le double pédalier du batteur de Complete Failure. J’explique au homeboy du Sonic alors en pleine lutte avec un câble récalcitrant que le jeu de double pédale me paraissait étrange, ce qui le fait bien rire : il m’explique à son tour que les pédales sont reliées à un déclencheur qui permet à une interface numérique de donner des infos à une boite à rythmes. Et d’ajouter que la plupart les groupes de black metal et de death ont recours à ce subterfuge, que l’on ne peut pas imaginer un batteur blastant avec la puissance d’un panzer au galop pendant une heure et demie d’affilée. Pour moi, un monde s’écroule, mes illusions de petit puceau du beat sont annihilées. Rendez moi Philty Taylor !
Beaucoup moins drôle est le bilan de la soirée. Comme l’a fait remarquer quelqu’un à l’équipe du Sonic : vous vous êtes peut être plantés mais merci pour ce concert. Plantés ? Cinquante trois entrées payantes c’est la débâcle. On sent comme une profonde lassitude et une certaine démotivation chez les gens du Sonic. La programmation va s’arrêter pour cause de vacances d’été et ils seront à nouveau là à la rentrée mais peut être plus pour très longtemps encore. C’est toujours aussi difficile d’allier amour de la musique, activité économique et éthique commerciale. C’est lorsque les choses ont définitivement disparu que l’on se rend compte qu’elles vont vraiment nous manquer. Comme toujours.