Si jusqu’ici vous pensiez que Kourgane était un vieux groupe originaire de Pau et disparu corps et âme avec le siècle dernier après avoir publié un unique album (?) chez Sonore (le label de l’ex Belly Button Franck Strofer aujourd’hui reconverti dans les japoniaiseries électro) et bien vous aviez tort. Kourgane est bel et bien vivant. Plus que jamais. Le groupe s’est en fait reformé en 2005, a simplifié son instrumentation, n’a gardé que trois de ces anciens membres et a récupéré au passage un nouveau guitariste. Exit les délires avant jazz/free rock de la première période, place désormais à un propos plus resserré, tendu et aiguisé, ne délaissant pas un certain lyrisme et une emphase resplendissante. Une originalité significative également : pas de basse mais une guitare baryton.
Kourgane a republié un album dès 2006 (Bunker Bato Club), un disque enregistré grâce aux bons soins de Stephan Krieger et de son studio -et label- Amanita. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, les mêmes se sont retrouvés deux ans après. Le résultat ? Heavy et ses neufs titres qui ne lâchent pas l’affaire -boules de teigne noise, cris de gorge, exacerbation et exagération, élégance désespérée et incandescence des émotions. Heavy fait partie de ces disques que l’on a bien failli oublier en 2008, un disque essentiel, grandiose et décadent. S’il fallait trouver une origine à cette musique de cerf en rut on irait chercher du côté des groupes dont l’assise repose sur une rythmique infaillible, avec suffisamment de tension à l’intérieur pour assurer ce qu’il faut d’arrogance conquérante et assez d’élasticité pour tordre définitivement ce qui reste de retenue et de décence -dans tous les cas ça fait mal.
Les chansons de Kourgane sont construites hors de tout schéma classique, pas de couplets, pas de refrains, pas de ponts ou de breaks pour faire beau ou pour faire bien mais des leitmotivs répétés avec hargne, des lignes de guitares qui tirent des fils barbelés sur les piquets fièrement plantés par la rythmique. Il y a un entêtement, une obsession dans les structures de ces neuf titres, du metal en fusion qui nous coule dans les veines et nous tétanise d’un bonheur effroyable. Un bonheur qui monte petit à petit sur chaque chanson, on croit qu’il arrive, qu’il va nous exploser à la gueule mais il était là dès le départ, violent et inflexible -écouter un titre de Kourgane c’est comme dévaler une monté abrupte (ou escalader une descente), le temps de se rendre compte de quoi que ce soit on est déjà ivre de se retrouver aussi désorienté. En ce sens Kourgane joue une musique éminemment enveloppante, un grondement de vibrations, et on ne cherchera pas les issues de secours pour s’en sortir.
Mais le réel point fort de Kourgane, du moins son originalité incontournable, c’est le chant de Fréderic Jouanlong-Bernadou. Et à tous les niveaux. Un croisement hybride entre les tours d’équilibriste d’un Phil Minton (Lounge Lecture) et la hargne lyrique d’un Franz Treichler première période, l’album L’Eau Rouge, lorsqu’il n’avait pas peur de se déboîter les cordes vocales sur les traces de Jaz Coleman. Le registre du chant est souvent rauque, toujours grondeur, frondeur par essence mais réserve aussi quelques surprises comme sur Chevreuil A dont le registre aigu et fragile n’a rien à envier à celui de Kazu de Blonde Redhead -comparaison certes étonnante. Ensuite viennent les textes -le genre de détails dont tout le monde se fout, moi le premier- des textes un peu en français, un peu en anglais, souvent les deux en même temps. Des textes quasiment systématiquement ponctués par des points d’exclamation -pas des affirmations, pas de mode péremptoire mais des cris dont l’intelligibilité joue avec la rage.
Répétons-le encore une fois juste pour le plaisir, Heavy est l’un des meilleurs albums de l’année 2008 et Kourgane un animal violemment sauvage et pas près d’être domestiqué.
[Pour se procurer ce disque deux solutions : aller sur la page business de Kourgane ou, beaucoup mieux, aller voir le groupe en concert à l’une des dates annoncées sur son monospace. De plus, une longue interview de ces étranges garçons est disponible sur Perte Et Fracas, le site des vieux singes qui aiment les cervidés.]