vendredi 27 mars 2009

Godflesh / Songs Of Love And Hate


Tous les fans de Justin Broadrick semblent s’être mis d’accord pour prier en même temps et demander avec ferveur à ce grand échalas britannique de mettre la pédale douce concernant la surproduction chronique dont il nous gave depuis trop longtemps avec son principal projet actuel, Jesu. La preuve que trop de musique peut tuer la musique, ce à quoi on pourrait également objecter que publier ses chutes de studio, ses démos et autres fonds de tiroirs n’a justement rien à voir avec la musique. La bonne nouvelle c’est qu’il semble bien que Justin ait écouté ses fans, voilà bien deux (trois ?) mois qu’il n’a rien publié, sous un nom ou sous un autre.
La passion et l’engouement générés par le bonhomme trouvent leur origine dans le passé glorieux de ce créateur visionnaire, en un mot Godflesh, groupe post industriel ayant réussi ce coup de génie consistant à mélanger guitares metal et boite à rythmes mécaniques (pour résumer simplement). Ce qui est amusant avec ce groupe dissout aux alentours de 2002, c’est que chacun a son album fétiche -il y en a même pour porter au pinacle Us And Them (1999)- alors qu’il est difficile d’en choisir un pour des raisons objectives parmi la discographie raisonnablement fournie du groupe. Un seul critère : l’affect, le sentiment. Eventuellement le souvenir. Ici ce sont Street Cleaner (1989, album fondateur s’il en est), Pure (1992, au formalisme aride) et Songs Of Love And Hate (1996) qui se partage les faveurs d’un classement forcément limitatif. Au moins ces trois albums -auxquels on peut rajouter les balises que sont le premier LP sans titre (1988) et le EP Messiah (2000)- sont des repères importants marquant un état significatif de la musique de Godflesh. Les autres albums découlent de ces trois là, théorie c’est vrai remise en question par l’étrange, démesuré et bancal Selfless (1996).




















Earache -label ô combien important dans les années 90 et qui connaît désormais toutes les difficultés rencontrées par les maisons de disques- a réédité en février dernier Songs Of Love And Hate, album réputé indisponible depuis quelques années (quoiqu’en cherchant bien…). Plus précisément cette réédition comprend l’album original, son alter ego Songs Of Love And Hate In Dub originellement publié en 1997 et proposant l’intégralité ou presque du disque dans des versions remixées par le groupe lui-même ainsi qu’une troisième galette, un DVD avec cinq video clips dessus, parait il les cinq vidéos jamais tournées par/pour Godflesh, le genre de bonus que personne ne regarde mais c’est quand même gentil d’y avoir pensé.
Earache ne s’est pas trop foulé pour l’emballage : un fourreau comprenant deux boîtiers CD en plastoc. Les visuels d’origine ont été conservés, la photo de Songs Of Love And Hate est seulement un peu plus violette et légèrement retaillée donc on ne devine presque plus le drapeau américain en bas à gauche. Un peu plus d’efforts de présentation auraient été les bienvenus, d’autant plus que le label a déjà prouvé avec les rééditions des albums de Carcass qu’il savait faire du bon boulot.
Les enregistrements n’ont pas été remasterisés -ils sonnent comme il y a dix ans- et il n’y a aucun titre bonus. La version initiale de Songs Of Love And Hate durait 57 minutes, la nouvelle en fait 60 mais c’est uniquement du à une piste silencieuse placé au début de celle-ci (un ghost track qui ne sert à rien et qui est accessible en appuyant sur la touche reward du lecteur). Tout cela étant proposé à un prix raisonnable -trois disques pour au maximum le prix d’un seul- ce bundle Songs Of Love And Hate est une belle opportunité à saisir.
Les enregistrements en eux-mêmes n’ont pas bougé d’un iota. Songs Of Love And Hate reste et restera l’album le plus accessible de Godflesh avec sa production testostéronée et ses mélodies évidentes, le point culminant de cette optique que certains qualifieraient de commerciale étant atteint avec Frail (un brin gothique) et le presque nonchalant Almost Heaven, tous deux clôturant l’album. Sinon cet album affirmait avec des titres tels que Hunter ou Circle Of Shit l’intérêt que portait Broadrick à l’époque pour les rythmes hip hop, breakcore ou jungle -voir aussi son travail contemporain avec Techno Animal et Ice- tout en mettant en avant un sens de l’efficacité binaire bien envoyé (Sterile Prophet). Précision d’importance, ce disque a été enregistré avec l’aide d’un batteur en plus des machines et cela s’entend. Seules constantes : l’énorme basse de G.C. Green et le fait que mis à part le plutôt fade Gift From Heaven, Songs Of Love And Hate est une formidable collection de hits.
Si on n’a toujours pas compris que Broadrick était aussi un enfant de l’électro -dans sa version la plus musclée et bien évidemment teintée d’indus- Songs Of Love And Hate In Dub est là pour enfoncer le clou. Tous les titres de l’album d’origine sont ici remixés (sauf Hunter), certains le sont deux fois et il y a un excellent pseudo inédit -Domain- qui est plutôt une version très différente parce que presque apaisé de Angel Domain. Le problème est que cet exercice est trop long, les nouvelles versions proposées s’éternisent, l’intérêt s’amenuise au fur et à mesure que les titres passent. Il y a bien quelques perles comme la version originale de Sterile Prophet ou le premier remix de Gift From Heaven. Le reste est indigeste et on touche même le fond avec le deuxième remix de Gift From Heaven (oui, encore…) fort heureusement placé en fin de disque.