mardi 5 juin 2007

Ton mariage est un trou noir et Boris invente la durée paradoxale


En général lorsque j’évoque les Melvins (même brièvement) les japonais de Boris se pointent pas très longtemps après, j’appelle ça le syndrome du couple divorcé parce que justement je connais un ancien couple -divorcé donc- et à chaque fois il y a cette coïncidence troublante : lorsque je rencontre ou parle à l’un, l’autre met moins de quarante huit heures à se manifester et à me demander si je n’aurais pas eu des nouvelles. Alors je réponds que non, un peu perturbé pas le systématisme de la situation et à tel point que j’ai fini par soupçonner qu’ils me faisaient une blague, mais pas de blague non plus et le manège continue, c’est ça le syndrome du couple divorcé.
Les liens unissant les Melvins et Boris sont très simples et de deux types, le premier se résume à ça et le second est que lorsque je pense aux Melvins (et je pense très souvent et très fort à eux), Boris débarque dans ma petite vie de monomaniaque uniphasé... Mais j’ai quelques autres exemples de convergences spatio-temporelles entourant le même genre de mystique digne de la plus obscure des numérologies (ou cartomancies si vous préférez les images et les bons points) : lorsque je vois une pub Mac Donald’s à la télé sur leur nouveau shit burger avec mayonnaise sucrée je pense immanquablement à Rob Halford mais lorsque j’écoute mes collègues de travail raconter leur soirée de la veille je me rappelle toujours avec bonheur que je n’ai pas la télé -il n’y a aucune contradiction là-dedans, je le répète, c’est juste de la magie.

En fait il existe peut être un troisième lien entre les deux groupes, lien qu’il me faut évoquer ici et qui explique mon émoi intérieur : bien que beaucoup plus récent, le groupe japonais (Boris) essaie désespérément de rattraper son retard discographique sur ses illustres aînés (Melvins) alors que ceux-ci justement sont plutôt des débiteurs de tranches de plastiques émérites, à rendre jaloux un bluesman noir et aveugle sous-payé par la Columbia pour rentabiliser encore plus ses galettes de vinyle à deux faces. Traquer la discographie intégrale de Boris est donc assez compliqué, même en utilisant les moyens techniques modernes désormais à la disposition de tous les record geeks à lunettes de la planète.
L’électricité nucléaire, la musique sérielle, les ondes négatives de Dee Dee Ramone depuis l’au-delà (haha ha c’est une blague : il ne faut vraiment pas croire que j’y crois) ou peut être plus simplement une habitude agaçante de jouer des doigts dès que je rencontre un bac de disques couplée à un désoeuvrement profond et impénétrable (ce serait même mon seul point commun avec l’au-delà mais comme je déjà dit plus haut, etc), tout ces facteurs convergents ont fait que l’après midi suivant cette fabuleuse victoire remportée contre une technologie réfractaire j’ai enfin trouvé ce disque de Boris with Keiji Haino intitulé Black : Implication Flooding édité en 1998 par Inoxia.























Ce disque est une cruelle déception. Keiji Haino n’y braille que momentanément, sa guitare aux aigus déchirants est submergée par le sludge-doom-métal-ce que tu veux de Boris et certains titres visiblement très improvisés s’achèvent brutalement comme si l’ingénieur du son était tombé en rade de bandes magnétiques pour enregistrer ce cauchemar. Tous ces points négatifs s’effacent sur l’extraordinaire Don’t be cheated by the oozing silt from both of the accuser and the accused which is always there, saying ‘something have to be done’ (c’est ça le titre) enchaîné au non moins fabuleux The person who, what is s/he like, the one who has been determined and prepared -à eux deux cela avoisine les vingt-cinq minutes de n’importe quoi où paradoxalement (encore un mystère) toutes les qualités de Boris ET de Keiji Haino apparaissent enfin au grand jour, la basse qui vrombit, les guitares qui agressent, le petit Keiji qui rugit comme aux plus beaux jours de Fushitsusha et le batteur qui perd toute mesure, en résumé : vingt-cinq minutes de perfection sur un total de soixante-dix, personne ne leur a jamais dit que le maxi 45 tours avait été inventé et que dans leur cas cela aurait permis d’épurer tout le gras de leur musique ?

Il est temps de conclure et cela tombe bien, j’ai deux arguments supplémentaires qui tendent à prouver que j’ai absolument raison : Boris est bien un groupe de stakhanovistes stupides avec quelques éclairs de génie qui peuvent les rendre si attachants. Le premier argument est un vinyle deux titres (justement) que Boris et Merzbow ont publié je ne sais quand chez Hydra Head -voilà les gars, c’est ça, vous avez enfin tout compris, personne n’a le temps de vraiment s’emmerder en écoutant un maxi. Le second argument est un double CD intitulé Dronevil, à nouveau chez Inoxia (il date de 2005 mais a mis un peu de temps pour arriver jusqu'à moi). Chaque CD comporte trois titres pour une durée totale de une heure, le premier s’appelle Drone et le second Evil. Boris préconise d’écouter les deux simultanément, l’avantage étant que cela ne dure plus qu’une heure au lieu de deux. Un autre avantage est que c’est vraiment mieux ainsi, en sandwich entre les deux sources sonores qui se complètent parfaitement alors que l’écoute séparée ne laissait rien présager de tel… si ça ce n’est pas la chance insolente du créateur visionnaire qu’est ce que c’est ? Et bien en fait je plaisante : écouter les deux disques en même temps est un calvaire sans nom, un supplice digne de l’inquisition, une stupidité insondable et finalement une perte de temps parce qu’une heure de Dronevil est plus longue et douloureuse qu’une heure d’Evil enquillé après une heure de Drone, Boris a tout naturellement inventé la durée paradoxale mais n’en tire aucune gloire et là je pense vraiment, je pense vraiment qu’ils l’ont fait exprès, ces cons. Oui : CONS. Juste histoire de voir s’ils étaient capables de battre ces nerds de Melvins sur leur propre terrain. Evidemment la réponse est non.