jeudi 14 juin 2007

It's catching up


Mardi. Je suis presque arrivé à destination, il ne me reste qu’un pont (assez dangereux) à traverser et j’attends que le feu se mette gentiment au vert : une bande d’énergumènes en short débarque, ils slaloment entre les voitures, hilares -il me semble que j’en reconnais un mais je ne me pose pas d’avantage la question, c’est à moi de passer et mon vélo prend doucement la petite descente jusqu’au quai.
Le garçon qui attend à l’entrée de la péniche (et qui organise ce concert) se demande s’il ne va pas s’arrêter là : je suis le premier arrivé, en tout et pour tout nous ne serons que quatorze ce soir et je l’entends expliquer qu’il en a assez, que c’est démoralisant de faire venir des groupes que lui aime mais qui ne semblent intéresser personne. La veille il y avait une bonne centaine de métallurgistes pour assister au concert de Lair Of The Minotaur et de Knut, le public en ce moment a une très nette préférence pour le lourd et le gras, c’est certain.
Les gens arrivent petit à petit, les groupes reviennent eux aussi -ils étaient partis manger quelque part, ce sont ces mêmes énergumènes que j’avais croisé sur le pont- et c’est l’heure de commencer. Le premier groupe est un one man band qui n’est autre que l’organisateur du concert. Il trafique une guitare, fait des boucles qu’il empile, là-dessus il se met à la batterie, martèle sur ses strates de sons et le résultat est vraiment bluffant.
Arrivent les italiens de
But God Created Woman et ils ne tardent pas à démontrer qu’ils sont effectivement ce que l’on dit d’eux : une copie au carbone d’Arab On Radar, s’en est même terriblement gênant. Le chanteur se tient bizarrement de profile en faisant mine de se pendre avec son fil de micro tandis que les deux guitaristes tournent consciencieusement le dos au public. Je décroche complètement et ne suis tiré de ma tordeur que lorsque je vois que le technicien son procède à un échange de micro en plein milieu d’un morceau, je ne m’étais même pas aperçu que l’on n’entendait plus la voix. Ils jouent vingt cinq minutes.
Talibam! s’installent à leur tour : le batteur c’est Kevin Shea, ancien Storm And Stress (avec des membres de Don Caballero) et actuel Get The People, c’est lui que j’avais cru reconnaître tout à l’heure avant d’arriver à la salle. Il y a aussi un clavier et je cherche désespérément la guitare… Il n’y en a pas et pourtant je reste persuadé que les Talibam! sont normalement trois alors je m’attends à voir débarquer quelqu’un d’autre pendant que les deux premiers jouent une mélasse infâme (en début de concert ils annoncent qu’ils vont faire du jazz) à base de sons d’orgue dignes de Charly Oleg et d’un jeu de batterie qui se voudrait inspiré par Rashied Ali mais qui n’est que de l’esbroufe polyrythmique. Ils font des interventions ironiques et finalement méchantes sur le fait qu’ils sont si heureux de jouer sur un bateau qui ne coule pas et devant tant de personnes, que l’organisateur du concert est vraiment sympa, etc. Un type réussit à s’endormir sur une banquette et je l’envierais presque. Je n’attends que la fin pour pouvoir dire au revoir aux deux ou trois personnes que je connais puis je rentre à une heure inhabituellement tôt, quand j’arrive à la maison il est à peine minuit.
Je vérifie tout de suite sur mes tablettes : effectivement Taliban! sont trois, il y a aussi un saxophoniste (et non pas un guitariste) mais je ne crois pas que sa présence eût changé quoi que ce soit.























Je me réveille mercredi matin dans un drôle d’état, aujourd’hui je ne travaille pas mais je sens que je vais malheureusement profiter de ce jour de congé pour être pas très bien… Je suis incapable d’écouter autre chose que du piano, notamment des pièces de Schoenberg -un disque d’un bon label de musique contemporaine et de freeture que j’ai payé une misère en solde alors que d’habitude les références de ce label sont très (très) chères… Ce jour là j’avais aussi trouvé un disque consacré aux travaux de jeunesse de Morton Feldman pour piano (et qui fait écho à celui publié chez Mode) mais je n’arrive pas à rentrer dedans, j’ai besoin de choses beaucoup plus figuratives et donc le Schoenberg me convient très bien. Je passe la journée à m’occuper à rien faire tout en écoutant ce brave Arnold. Le soir arrive -et la fraîcheur avec- et je me pose enfin la question du concert de NoMeansNo, je décide d’y aller, au moins pour me remettre de la catastrophe de la veille… et puis entre les canadiens et moi c’est une longue histoire d’amour, je les ai déjà vus deux fois il y a pas mal d’années alors il est grand temps de remettre ça, même si leur petit dernier (All Roads Lead To Ausfahrt) m’a convaincu sans réellement m’enthousiasmer.
Toujours en vélo, l’orage a menacé toute la journée mais finalement il ne pleut pas… Devant la salle il y a une bonne centaine de personnes qui attendent encore, cela me rappelle le dernier concert de NoMeansNo auquel j’ai assisté : c'était complet et tous ceux qui n’avaient pas pu rentrer étaient passés en force, balayant les organisateurs débordés tandis que d’autres esquivaient par derrière en cassant les fenêtres des chiottes, une véritable émeute et une salle de concert bien au delà de sa capacité et à la limite de Furiani. Mais le concert de ce soir se déroule dans un bel endroit -c’est une salle que j’adore, j’y ai vu des choses si différentes mais souvent affolantes… puis la musique y a été abandonnée, avant d’être remise au goût du jour il y a un an et demi- un endroit assez grand donc je sais que j’arriverai à rentrer à l’intérieur. Je vais attacher mon vélo dans la cour de derrière et je vois John Wright (batteur de NoMeansNo, un type très laid qui arrive merveilleusement bien à imiter Popeye) en train de faire une petite sieste tout en écoutant quelque chose qui ressemble à du Lionel Hampton, cela fait ding ding dung ding ding, je déteste le xylophone ou je ne sais quoi alors je retourne vite vers l’entrée de la salle.
C’est
Ned qui joue en premier et à domicile, je les ai vus un nombre incalculable de fois, mes nerfs ont parfois eu du mal à les supporter, j’ai dû connaître toutes leurs périodes musicales et ce soir, pour la première fois vraiment, ils sont totalement excellents et impressionnants, peut être qu’un jour je finirai même par acheter un de leurs disques. Les lumières se rallument et je croise au hasard quelques très vieilles connaissances, ce concert aura au moins servi à ça.
Les trois NoMeansNo montent sur scène, trois papys aux cheveux blancs (la première fois que je les ai vus ce devait être aux alentours de 1990 et déjà à cette époque je les trouvais vieux), la batterie sur le côté droit, le guitariste à lunettes à gauche et Rob Wright -frère de l’autre- au centre dans une magnifique chemise rouge. Les morceaux, surtout des récents, sont enchaînés sans répit, toutes les trois titres environ ils font une petite pause pour raconter des blagues stupides, prétendent qu’ils ont inventé le math-rock tout ça parce qu’un de leurs albums s’intitule 0 + 2 = 1 et ça repart de plus belle, ils ont la banane, ça rigole, ça gueule, ils ne jouent pas assez de vieux morceaux à mon goût (j’en ai comptés cinq : The Fall, Dark Ages, Two Lips, Two Lungs And One Tongue, Rags And Bones et Big Dick) mais ce n’est pas grave du tout, le service gériatrie est en feu, la nurserie aussi, plus ça va et plus j’aime les vieux (oui je me répète), deux rappels et les lumières qui tardent à se rallumer alors j’y crois encore un peu, ils vont revenir une dernière fois mais non c’est bien fini, je me rends compte que je suis épuisé, ils m’ont épuisé.
Sur la pochette du disque The People’s Choice il y a cette photo d’un mur graphité, dessus quelqu’un a écrit How fuckin old are NoMeansNo ? Give It Up Grand Dads. Juste en dessous il y a la réponse (et elle est signée John Wright) qui dit : that’s ’great grand dad’ to you fucker ! Sans commentaires. Assurément ils arrivent toujours sans difficultés à tenir la dragée haute à la plupart des groupes de punk que je connais, ils demeurent difficiles à dépasser ou tout simplement à rattraper et cela donnerait presque envie de vieillir -c’était vraiment un plaisir de les revoir.