La trompette dans le jazz : dans le cas de 37500 Yens, jeune groupe instrumental et plutôt bruyant originaire de Reims, on ne retrouve ni l’une ni l’autre et c’est tant mieux. Pourtant j’avais un petit peu peur, rien que le nom déjà -en ce moment je fais une énorme fixation sur les noms de groupes, j’en tire des conclusions hâtives et donc toujours fausses, un peu comme cette théorie qui me faisait considérer qu’un disque avec une pochette moche ne pouvait pas contenir de la bonne musique (mais maintenant que je me soigne j’ai appris qu’il y a aussi des mauvais disques avec de belles pochettes). Donc : le nom qui rassemble un paquet de pognon bien plus gros que ce que je ne verrai jamais, un titre d’album énigmatique et une pochette incertaine représentant peut être le guitariste et le batteur de 37500 Yens, tout ça ne me parlait pas.
Et puis j’ai lu coup sur coup deux chroniques, dont celle absolument dévouée de Perte Et Fracas (le responsable de ces écrits affolait déjà tout le monde il y a fort longtemps grâce à l’excellent fanzine Sonik) et je n’ai jamais su résister à un avis dont l’argumentation ne repose ou presque que sur l’affect. C’est même la meilleure argumentation possible.J’ai donc commandé Astero au label qui me l’a envoyé en un temps record, et depuis je n’écoute plus que ça. Pourtant j’en ai soupé des duos guitare/batterie ou basse/batterie et n’est pas les Ruins ou Lightning Bolt qui veut, surtout lorsque la tentation du trop bien jouer se fait sentir, lorsque la démonstration efface la conclusion, lorsque la virtuosité (ou ce que l’on pense comme telle) enlève toute vérité, du moins celle qu’on s’imagine.
37500 Yens n’est donc pas un groupe de math core de plus, même si ces deux garçons utilisent une bonne partie de sa grammaire : le batteur n’a pas tendance a mouliner dans le vide et perpétuellement à contre temps (comme Zach Hill de Hella), le guitariste a un son plutôt clair teinté de reverb et il y a de nombreux passages lents et plein de nuances, c’est tout ce qui fait la différence ce côté post quelque chose, ces boucles de guitare souvent élégantes qui s’entrecroisent mais ne s’empilent jamais jusqu’à la saturation. Au départ il est vrai que j’avais tendance à ne retenir que les courts passages chaotiques et géométriquement dévoyés mais c’était bien à tort : 37500 Yens est avant tout un groupe aux climats flottants, derrière le rictus du mathématicien on trouve parfois quelques châteaux de sable qui s’écroulent tout doucement.
Il y a aussi ce titre (Canard Boiteux) où le papa du guitariste vient souffler dans son saxophone, titre qui atteint une vitesse de croisière dont peu de formations free émérites peuvent se vanter. Sur Microphonie, 37500 Yens préfère jouer la carte du sample discret mais efficace. L’album se conclut par un Sullivan’s Quartet et un final chanté/crié (avec une nouvelle fois un invité) particulièrement prenant, cédant la place à une mare de guitares s’évaporant dans un bourdonnement sans suite. Alors je ne suis pas loin de penser moi aussi que nous tenons là l’un des plus talentueux jeunes groupes de ce petit coin de la planète.