Carved Into
Roses, Infinityland… Même à l’heure
du partage des disques rares (ou épuisés) sur le net et en peer to peer, on ne
pourra jamais assez remercier VHF records d’avoir enfin réédité
ces disques de SKULLFLOWER devenus introuvables depuis trop longtemps*. Le
groupe de Matthew Bower existe depuis 1988, a connu un nombre important de
line-ups différents, est passé par moult périodes mais il est pourtant toujours
là, cas assez unique d’un groupe anglais s’adonnant à la musique bruitiste et à
l’annihilation complète de nos facultés de raisonnement – quel dommage
d’ailleurs que Skullflower ait annulé en 2012 ce qui ressemblait pourtant à la
première tournée du groupe depuis bien longtemps…**
… On se consolera alors avec cette magnifique collection
regroupant donc les albums Carved Into
Roses (1994, déjà chez vhf), Infinityland
(1995, hEADdIRT recordings/Permis De Construire Deutschland) et une collection
de EPs publiés à la même époque. Deux albums dont le premier a été initialement publié moins de deux après Third Gatekeeper (1992, hEADdIRT*** – magnifiquement réédité en 2007 par Crucial Blast) mais deux albums qui sont extrêmement éloignés de cet illustre prédécesseur : Third Gatekeeper reste à ce jour le disque le plus connu (et pour
certains le plus emblématique) de Skullflower mais il n’offre qu’une vision
très parcellaire et incomplète de la musique du groupe ; on affirmera ici
que le vrai Skullflower, en tous les cas la meilleure incarnation du groupe,
est à chercher quelque part sur cette réédition en trois disques, programme
démentiel de bruits distordus, de psychédélisme ravageur, d’indus décalqué et
de freejazz mentalement malade, comme une longue plainte sans retour – en tous
les cas sans réel début ni fin avérés, ce qui s’apparente le plus à la
définition d’un cauchemar récurrent et claustrophobe.
Sur Carved
Into Roses comme sur Infinityland
le ligne-up de Skullflower est le même et s’en est bien fini de la formation de
power-trio qui avait tout balayé sur Third
Gate Keeper**** : Matthew Bower, guitare et bidouilles ; Russel
Smith de A.R. Kane (!), de M.A.R.R.S (!) mais surtout ex membre de God et ex
Terminal Cheesecake à la guitare ; Simon Wickham-Smith à
l’électronique ; Philip Best (de Whitehouse) à la voix et Stuart Dennison
(également membre des géniaux Ramleh) à la batterie. Cette formation là, bien
plus protéiforme et s’éloignant du chaos plus cliniquement industriel et metal
d’un Godflesh, se concentre sur un magma sonore proche de la terreur la plus
complète et la plus sale ; une terreur comme anesthésiée par l’usage de
drogues dures mais dont les effets n’en sont que plus dévastateurs.
Oui, ces disques ne sont pas vraiment faciles à
avaler, oui ils font partie de ce que Skullflower a enregistré de plus extrême
– le groupe ne fera peut être plus jamais aussi bien – mais ils sont également
représentatifs de l’intransigeance mais aussi de l’incroyable profusion créatrice
d’une certaine scène anglaise des années 90 – en vrac : God, Ice, Terminal
Cheesecake, Slab!, Headbutt, etc***** –, une scène partiellement éclipsée dans
le cœur des amateurs de guitares névrosées par les groupes U.S., groupes beaucoup
plus axés eux sur les effets de la fuzz et de la distro mélangés malgré tout à
quelques préoccupations mélodiques et donc acceptables. Pour compléter ce formidable
mémorandum sur un certain âge d’or britannique, le troisième CD de cette
réédition offre à entendre quatre EPs tous plus excitants les uns que les
autres ; sur ceux-ci le line-up de Skullflower varie quelque peu bien que
l’on retrouve le noyau dur Bower/Smith/Dennisson et on note quelques
apparitions prestigieuses comme celle, sur le 7’ Village Sorting (Self Abuse records, 1995) du génial saxophoniste
Tim Hodgkinson, ex Henry Cow, ex The Work, cofondateur de God et futur Konk
Pack. Tout simplement légendaire et essentiel******.
* autre réédition de choix, toujours chez
vhf : l’album This Is… Skullflower…
(1996)
** histoire de pleurer un peu plus : le line-up
actuel de Skullflower a vu le retour derrière la batterie de Stuart Dennison
*** rappelons que hEADdIRT était le label de
Justin K. Broadrick…
**** sur Third
Gate Keeper le line-up est le suivant : Matthew Bower à la guitare, Anthony
Di Franco à la basse et Stuart Dennison à la batterie
***** il y avait également Silverfish, groupe à
part et qui aurait pu faire un carton s’il ne s’était pas séparé
prématurément ; reste le cas de Godflesh qui c’est vrai bénéficiait en
Europe de l’appui d’un gros label de metal extreme alors très à la mode (Earache)
et aux Etats Unis de l’appui de Sony Music via Relativity records
****** cette réédition est en outre très
jolie : un tripe digipak avec un obi sauce japonaise ; l’artwork
principal reprend en partie celui de Carved
Into Roses