dimanche 20 février 2011

Zeitkratzer / Whitehouse (et aussi beaucoup de Metal Machine Music)


Autant dire tout de suite que ce disque est absolument magnifique mais trompeur. Zeitkratzer, formation protéiforme fondée par Reinhold Friedl en 1997, est l’un des plus importants ensembles contemporains à l’heure actuelle. Le répertoire de Zeitkratzer va de compositions originelles de Friedl (Xenakis [A]live!) à des collaborations (la série « Electronics » avec Carsten Nicolai/Alva Noto, Terre Thaemlitz ou Keiji Haino) en passant par des réinterprétations d’œuvres de grands compositeurs (la série « Old School » : John Cage, James Tenney et Alvin Lucier – on rêve d’un volume entier consacré à Morton Feldman). Jusque là tout va bien.
Ce qui prête plus à rire confusion c’est la relecture par Zeitkratzer du Metal Machine Music de Lou Reed. Malgré tous les retournements de veste du new-yorkais, on sait pertinemment que Metal Machine Music est avant tout une mauvaise blague. Lou Reed a pourtant participé et cautionné cet enregistrement de Zeitkratzer et qu’il s’enorgueillisse à nouveau de ses petites pitreries facétieuses d’antan est après tout rassurant pour tous ses détracteurs : il prouve ainsi qu’il est toujours égal à lui-même. Par contre il a l’air de vraiment y croire et ça c’est la faute à des gens comme Reinhold Friedl qui le plus sérieusement du monde donnent une caution musicale à ce qui n’aurait jamais du en avoir. S’amuser à retranscrire ou à réécrire Metal Machine Music est une chose. Prétendre que l’œuvre de départ était réellement sincère en est une autre. Car aucune autre œuvre au monde ne mérite autant le nom d’« accident sonore » : à la base Lou Reed a fait n’importe quoi en enregistrant Metal Machine Music même si ce double LP a ensuite donné naissance mais sans le vouloir à des vocations et des axes de recherche sonore alors inédits et qui perdurent encore aujourd’hui. Si en réenregistrant Metal Machine Music Reinhold Friedl et Zeitkratzer ont avant tout voulu saluer (un peu trop ?) respectueusement la naissance hasardeuse de la musique bruitiste et bien soit. Mais qu’ils arrêtent de mettre Lou Reed et sa blague fétiche sur un piédestal qu’ils ne méritent pas. Le malentendu Metal Machine Music est total mais c’est ça également qui rendait les choses aussi drôles et le méfait historique. Vouloir dissiper le malentendu c’est comme nier les lois du hasard ou du big bang. Et tenter vainement de remettre le monde de force dans la jolie boite bien trop petite d’où il n’aurait prétendument jamais du sortir.
Autre problème, plus formel : transcrire sur partitions les vieilles bandes de Lou Reed passées à l’envers et à des vitesses différentes parait bien vain et techniquement douteux. Ce n’est pas une question de rendu – en écoutant Metal Machine Music on peut même être subjugué par le résultat – mais de pertinence. Pourquoi dans ce cas là ne pas carrément retranscrire également les Cinq Etudes De Bruits de Pierre Schaeffer, les ondes sinusoïdales employées par La Monte Young dans sa « Dream House », le Rainbow Electronics de Merzbow ou le Systemisch d’Oval ? Il y a comme un paradoxe à absolument vouloir mettre sur papier ce qui a été créé pour n’exister que sur bandes, c’est comme si on voulait l’enfermer dans un cadre bien trop étriqué pour lui. On en revient à la même conclusion que précédemment.





















Et on en arrive donc à Whitehouse (le groupe). Retranscrire la musique de William Bennet parait tout aussi absurde. C’est pourtant ce que prétend avoir fait Reinhold Friedl qui dans les notes du livret se lance dans des explications d’un obscurantisme aussi drôle que celui de Lou Reed naguère – et avec quelques erreurs discographiques en prime, Nzambi Ia Lufua est un titre de Asceticists et non pas de Cruise. On remarque que les retranscriptions ne concernent aucun disque de Whitehouse antérieur à Cruise (2001), toute la période vraiment sauvage et trouble de Whitehouse ayant donc été écartée. On regrette ensuite que tout l’aspect vocal ait été mis de côté. Il s’agit pourtant là d’un aspect non négligeable de cette musique : que serait Whitehouse sans les éructations indécentes de William Bennett, Philip Best et Peter Sotos ? On en conclue aussi que ce que l’on entend sur ce disque n’est absolument pas du Whitehouse. Ce que l’on entend est indubitablement puissant et beau mais n’a rien à voir. Où est le côté dérangeant ? Où est l’ambiguïté ? Où est la violence ? Où est la merde ? Où est la mort ?
Whitehouse (l’album) démontre finalement très rapidement l’échec de Reinhold Friedl : le disque stoppe brutalement au bout d’une demi-heure, comme à court d’idées et de ressources. A croire que ce n’était pas si facile de « traduire » Whitehouse et qu’il valait mieux s’arrêter à temps avant de risquer de faire réellement n’importe quoi. En fait ce disque est une captation d’un concert donné à Marseille. Alors où est le reste du concert ? Le rendu ne sonnait pas assez Whitehouse pour être ainsi amputé sur disque ? En effet et apparemment : comme pour Metal Machine Music le résultat peut être de qualité – là n’est pas le problème – mais encore une fois le résultat est autre chose que ce qu’il prétend être. Que Zeitkratzer se contente de collaborer avec d’autres musiciens sur du matériel neuf ou de reprendre les compositeurs contemporains plus simplement à sa portée. Et que Reinhold Friedl laisse à certaines musiques leur part d’inconnu et d’insaisissable. Car heureusement que ces musiques là gardent pour elles le mystère de leur existence. Cela ne les rend que plus fortes.