Bear Claw est très exactement ce que l’on appelle un bon petit groupe. Pas d’une originalité fulgurante mais un groupe de faiseurs particulièrement bien intentionnés et toujours appliqués : des bouchers qui se prennent pour des artistes mais ils auraient tort de s’en priver. N’allez pas croire qu’il y a dans ce descriptif sommaire un quelconque mépris condescendant. Bien au contraire, Bear Claw c’est le genre de groupe que l’on préfère. Et de loin. Pas d’éclair de génie mais une constance que l’on retrouve à chaque enregistrement et que l’on a pu vérifier en concert de visu et les oreilles en choux-fleurs. Si tous les petits groupes de trous du culs pétant plus haut qu’ils ne le devraient après une première demo trop trop bien enregistrée au studio du coin avaient ne serait-ce qu’un quart du talent et surtout de la conscience de Bear Claw et bien ce monde serait merveilleux, peuplé de milliers de groupes tous plus géniaux les uns que les autres sortant enfin de leurs caves pour envahir ce monde débordant de médiocrité. Mais ne rêvons pas : il n’y a que dans les films de zombies que l’humanité a enfin bon goût.
Refuse This Gift est déjà le troisième album de Bear Claw. Comme ses deux prédécesseurs il a été publié par Sickroom – le label de Mitch « Rumah Sakit » Cheney – mais à la différence de ceux-ci il est avant tout disponible en LP (avec le CD glissé à l’intérieur de la pochette pour faire croire aux plus naïfs d’entre nous que le numérique c’est encore et toujours l’avenir). Dès les premières notes de Backbreaker on reconnait entre mille le son qui claque, net et tranchant, clair et sec, chaud et massif. Refuse This Gift a en effet été enregistré à Chicago avec l’aide de tonton Steve dans son studio Electrical Audio et c’est également la troisième fois qu’Albini collabore avec Bear Claw. Mais sur Backbreaker (au moment du break, à la toute fin) on note également une évolution assez sensible dans la musique du groupe. Oui, la batterie est toujours bien en place, comme au milieu du dispositif, et les deux basses sont tendues de fort belle manière – il n’y a pas de guitare dans Bear Clawn, uniquement deux basses dont l’une jouant juste un rôle plus mélodique que l’autre. Mais le chant subit de son côté une transformation assez nette. Et quand on parle de chant c’est exactement de cela dont il s’agit : plus vraiment de braillardises mais un effort certain pour pousser la mélodie. Cet effort est immédiatement confirmé sur Loaded Down With Static ainsi que sur tout ce qui va suivre, jusqu’à la fin du disque. On peut très mal réagir à ce tournant vraiment plus mélodique dans la façon de chanter. On peut aussi trouver ça plus que bienvenu. C’est cette deuxième option qui prime largement : Bear Claw se redécouvre un petit côté Fugazi que l’on sentait déjà auparavant mais jamais avec autant d’évidence, entre manque de justesse casse-gueule et émotion sans fard et les compositions du trio font plus qu’y gagner au change.
Un habile croisement entre la noise de Chicago et l’emo de Washington D.C., voilà effectivement ce qu’a toujours plus ou moins proposé Bear Claw. Jusqu’ici le trio se laisser plutôt embringuer par la puissance de feu d’un noise rock franc et sec, désormais il semble le plus souvent préférer une fausse douceur (33 mg/dl ou Match Made In Hell). Ce changement – pas si minime que cela mais s’inscrivant dans une certaine logique de continuité par rapport aux deux premiers albums – est tout ce qu’il y a de plus bénéfique pour Bear Claw qui signe donc avec Refuse This Gift son meilleur album à ce jour.