Il paraît que le flyer officiel annonçant le concert du trio Mario Rechtern/Sheik Anorak/Weasel Walter et de Moha! de ce lundi 4 mai précisait également et en bonne et due forme que le début des hostilités étaient prévu pour 21 heures. Ah bon ? Vérification faite (a posteriori), tout cela était bien vrai. Mais je ne dois pas savoir lire pas plus que je dois porter de lunettes correctement réglées.
Je me pointe donc comme d’habitude devant le Rail Théatre à mon horaire de pépère fatigué (légèrement après 20 heures 30, j’ai tendance à trouver cet horaire élégant) pour trouver portes closes et en être réduit à fumer quelques clopes pour passer le temps. Lorsque la porte s’entrouvre enfin et laisse passer la tête hirsute de l’un des gentils organisateurs du Grrrnd Zero, celui ci a l’air tout surpris de me voir -qu’est ce que tu fous là, il y a longtemps que tu attends, pourtant pour une fois on avait bien précisé l’horaire, tu l’as fait exprès ou tu sais pas lire (je résume mais je vais y avoir droit plusieurs fois dans la soirée, ça me servira de leçon).
Lorsque j’entre enfin dans les murs du Rail Théâtre je découvre trois installations à même le sol : la batterie de Weasel Walter (reconnaissable entre mille avec sa double pédale montée sur une grosse caisse ridiculement petite, en fait il s’agit sûrement d’un tom basse renversé), le bordel incroyable de Moha! (amplis en veux tu en voilà, batterie avec double pédale là aussi, synthé, laptop, guitare et une armada de lights et de néons) et enfin un étalage de pédales d’effet et de synthés poucraves placés en demi cercle.
Cette dernière installation est celle de Ludivine Cypher qui comme son nom ne l’indique pas est un garçon, habillé tout de blanc avec un joli chandail en laine (pas dans le style d’Eddy Barclay mais plutôt dans celui de Sébastien Tellier ou de Bertrand Burgalat -ça y est, tu vois le genre ?). Ludivine Cypher fête ce soir la parution du livre disque 36 monftres dont il a fait la musique et dont madame Lapin a fait les dessins et a assuré la sérigraphie -un objet bien beau et bien rigolo soit dit en passant.
Pour l’instant notre Ludivine s’est installé au milieu de son attirail, s’est emparé d’un synthé bricolé, peste sur une pédale qui ne veut pas lui obéir et se lance dans une pop electro rafraîchissante et naïve. C’est un peu maladroit, le musicien râle une nouvelle fois contre quelque chose qui ne fonctionne pas (mais c’est plutôt drôle) avant de passer à la séquence play-back. Après avoir expliqué le comment du pourquoi du livre disque et surtout après avoir expliqué que la musique du CD ne correspondant en rien à ce qu’il joue ce soir, Ludivine Cypher se barre en laissant le disque tourner.
Lorsqu’il revient enfin, s’excusant presque et décidant que finalement ce passage en play-back n’était peut être pas une très bonne idée, il empoigne une guitare et reprend son set plus que jamais bancal et inachevé. Les mélodies sont parfois bien trouvées et touchantes, il y a toujours ces problèmes techniques, ces hésitations, ces pains qui donnent l’impression que l’on est en train d’assister non pas à un concert mais au bricolage d’un gamin qui répète tout seul dans sa chambre. Un côté franchement décalé et intime.
Le premier (gros) morceau de la soirée c’est le trio regroupant Mario Rechtern, Sheik Anorak et Weasel Walter. On connaît peu Mario Rechtern, il ne semble pas jouer beaucoup ni très souvent mais nous allons bientôt apprendre à faire sa connaissance. Il possède un assemblage de saxophones tous plus vieux et défoncés les uns que les autres, saxophones qu’il a bricolés en changeant les embouchures -il me semble même qu’il a raccourci son baryton. Il a également deux ou trois bidouilles amplifiées comme cette anche qu’il fait vibrer avec un archet. On ne compte pas non plus le nombre de trucs qu’il arrive à enfiler dans son sax pour en modifier le son, de même il joue souvent contre une plaque de métal pour altérer la sonorité de son instrument.
Lorsqu’on demandait en début de soirée à Franck Gaffer alias Sheik Anorak comment s’étaient passés les premiers concerts de ce trio inédit il répondait : on s’est bien trouvé. C’est une expérience inédite pour lui, intimidante peut être parce que jouer avec un phénomène comme Weasel Walter et un musicien de la trempe de Mario Rechtern c’est sûrement aussi un peu flippant. Mais également une sacrée expérience. Ce soir là, au Grrrrnd Zero, les choses ont parfaitement fonctionné. D’abord avec une première impro vertigineuse de violence free alliée à des blasts tonitruants. Ensuite avec une seconde partie bien plus longue, nuançant, louvoyant, montant en flèche vers des sommets chaotiques avant de redescendre sur des passages plus calmes mais toujours ludiques. Dans le genre grand enfant Weasel Walter était en très grande forme et égal à lui même -détail vestimentaire pour les hipsters qui s’ignorent : il a troqué le magnifique t-shirt De Mysteriis Dom Satanas de Mayhem qu’il portait avant le concert pour en arborer un autre, sublimement laid, de Repulsion.
La grande leçon qu’ont su respecter ces trois musiciens c’est de ne pas tomber dans le piège de l’étalage, du délaiement, de l’impro à rallonge. Death metal is free jazz disait Weasel Walter du temps des Flying Luttenbachers. On pourrait également ajouter fast and loud. Et j’aimerais bien revoir Mario Rechtern en concert un de ces quatre. Sacré bonhomme.
Mais le vrai fast and loud c’est avec Moha! que l’on va réellement comprendre ce que cela signifie. Le duo norvégien a considérablement étoffé son dispositif scénique : encore plus d’amplis, encore plus de lumières et de néons pour éclater les yeux du spectateur lambda. Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour l’instant Moha! va s’occuper de nos oreilles et surtout de nos nerfs. Les deux musiciens commencent à jouer dans le noir quasi complet, ponctuant leurs salves de jets de lumière foudroyants. Le groupe joue avec l’attente, ménageant des silences à la durée plus ou moins variable entre chaque pic de fracas. Un début de concert tout en rigueur chirurgicale vraiment très réussi et assez différent de la méthodologie appliquée et de la concision très composée du dernier album en date, One-way Ticket To Candyland et vraiment c’est tant mieux.
Lorsque les fauves sont définitivement lâchés et que les lumières restent allumées en permanence, Moha! assure son show habituel : dextérité, célérité, interface reliant la batterie avec le laptop, guitariste blondinet -mais pourquoi s’est il coupé les cheveux ?- qui alterne avec son clavier à une telle vitesse que cela en devient impensable. La musique du duo se durcit considérablement, le mur du son free noise indus s’élève toujours plus haut et le groupe semble pouvoir jouer toujours plus vite et plus fort. On peut toutefois regretter une certaine froideur millimétrée, un certain côté inhumain (il y a plus d’un point commun entre la musique de Moha! et le polymétal mimétique du T1000) et un manque de spontanéité évident -particulièrement flagrant lorsqu’on vient de s’enfiler la prestation du trio Mario Rechtern/Sheik Anorak/Weasel Walter. L’effet de surprise ne jouant plus, Moha! ressemble désormais à une machine trop bien huilée. Le groupe reste l’une des meilleures choses à voir et à entendre sur scène mais la routine n’est pas très loin.