samedi 23 mai 2009

Le meilleur groupe du monde (finalement, oui, c'est bien vrai)























Difficile lorsqu’on arrive devant la péniche qui abrite le Sonic de ne pas remarquer la banderole Noise Is Beautiful déclinant la programmation de ce jeudi 21 mai et frappée du sigle des Nuits Sonores. Qu’est ce que c’est les Nuits Sonores ? Un festival se déroulant toutes les années à Lyon et qui malgré les attaques en règle dont il fait l’objet de la part des hypeux obscurantistes (dont je fais partie) en est déjà à sa septième édition. On passera sur la partie electro de la prog car Laurent Garnier, invité permanent du festival, n’est vraiment pas ma tasse de thé et ce n’est pas les rares bidouilleurs expérimentaux (genre des artistes du label Raster-Noton ou affiliés) qui feront pencher la balance du bon côté -on peut comme moi adorer toute cette scène de pixelateurs spartiates du clic/cut/glitch mais trouver ça complètement abscond en concert, un joueur de laptop est très rarement sexy sur scène.
L’autre versant de la prog des Nuits Sonores c’est le côté indie/rock dans sa version la plus revivaliste et nostalgique que l’on puisse imaginer : des vieux groupes mythiques (Genesis P-Orridge et Psychic TV cette année, Einsturzende Neubauten l’année dernière, The Fall il y a quelques années), des groupes récemment reformés (Boss Hog, Chrome Cranks) et des coups de pub (une simili version de Teenage Jesus & The Jerks). Des têtes d’affiches certes il en faut mais il faudrait que cela suive derrière, ce n’est pas Men Without Pants, l’une des hypes new-yorkaises du moment, qui pourra rendre un tel évènement plus palpitant.























Les concerts s’enchaînent pendant quatre jours, à des horaires de clubbers -2 heures du matin pour pouvoir enfin voir les australiens de The Drones en concert, tant pis je vais attendre qu’ils repassent (ou pas) une autre fois- avec cette désagréable impression qu’il ne se passerait rien le restant de l’année. Cela fait deux mois que la ville est tapissé de 4 par 3 annonçant le festival et impossible d’attendre son bus ou de pisser dans un chiotte public sans tomber sur l’une des affiches bariolées du festival.
Il y a donc un effet Nuits Sonores factice et déprimant : on sort pour les Nuits Sonores sans savoir pourquoi, l’évènement serait estampillé approuvé par Trax, les Inrockuptibles et les futurs lecteurs de Telerama ou vu à la tv chez tes parents que ce serait pareil. C’est d’ailleurs exactement l’impression que cela me laisse lorsqu’un quidam m’aborde en me demandant s’il y a un groupe qui joue ce soir au Sonic. Mais bien sûr que oui mon garçon.
Mais que vient donc faire ma salle lyonnaise préférée dans toute cette histoire ? Les Psychic Paramount ont été programmés par le Sonic depuis belle lurette et c’est suite aux déboires de la salle et suite au concert de soutien au mois de janvier dernier que l’équipe des Nuits Sonores a manifesté son intention d’aider le Sonic elle aussi en incluant le concert de ce 21 mai dans sa prog et en payant le cachet des groupes. Résultat, (re)voir Psychic Paramount sur une scène est devenu gratuit et ce coup de pouce des Nuits Sonores -coup de pouce bienvenu, admettons le- a amené du monde sur la péniche. Tous les concerts de cette deuxième nuit du festival (concerts disséminés dans toute la ville) sont d’ailleurs gratuits mais celui au Sonic éclipse largement tous les autres.


















Tamagawa, branleur stéphanois initialement prévu en début de soirée a annulé sa venue pour d’obscures raisons, son solex serait tombé en panne. C’est bien dommage. Par contre, Agathe Max est bel et bien là -en escarpins vernis dotés de talons aiguilles complètement invraisemblables pour un garçon normalement constitué (c'est-à-dire avec des pieds vaguement palmés et totalement plats)- réservée, bien consciente que son violon est trop petit pour la cacher entièrement.
Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu Agathe Max en concert, si elle rejouait demain j’y retournerais assurément et c’est toujours le même émerveillement devant cette capacité qu’elle a de se renouveler sans cesse avec un dispositif pourtant simplissime -un violon, une pédale de delay, une loop station- dont les possibilités semblent infinies. Le premier titre joué ce soir était tout simplement incroyable, la beauté de la musique d’Agathe Max chavire entre instants de grâce et interruptions déstabilisantes de boucles sonores, rien n’est acquis, tout est en mouvement, un rythme s’immisce et toujours ce transbahutement entre soucis harmoniques et déflagrations presque bruitistes. La violoniste semble dans un autre monde, jouant avec son archet de plus en plus vite, comme libérée par une magie musicale shamanique de la pression de tous les yeux posés sur elle.
Déjà une demi heure qu’elle joue et le public conquis fait une ovation à Agathe Max qui retrouve son sourire gêné mais ravi. La musique ne la cache plus. Oui elle est toujours sur scène et interprète un second titre extrait de son très beau premier album This Silver String histoire de confirmer que décidément tout ça n’est pas qu’un rêve.























Le Sonic s’est considérablement rempli pendant le concert d’Agathe Max. Une vraie fournaise. Il y en a de partout et je découvrirai après la prestation de Psychic Paramount que certains n’ont même pas pu rentrer dans la péniche. Deux solutions : soit on reste collé devant pour ne rien rater du concert à venir soit on reste derrière mais on ne pourra pas voir grand-chose. Impossible de naviguer dans cette marée humaine qui à force de nouvelles et incessantes arrivées se transforme bientôt en béton humain surcompressé et dégoulinant de sueur. Mention spéciale au comique troupier qui s’est mis à hurler j’ai froid ! rendez moi mon slip ! Un type s’installe juste à côté -il est armé d’une magnifique caméra seize millimètres d’un modèle comme je n’en avais plus vu depuis l’époque paternelle et est également doté d’une magnifique moustache digne des Brigades Du Tigre ou d’un guidon de vélo ayant cette fois plutôt appartenu à mon grand père. Il tient une lampe de chantier dont il va se servir pour éclairer la scène le moment venu (mais pas pendant tout le concert) renforçant deux gros spots de lumière blanche posés à même le sol. L’attente est très longue, un DJ fait patienter tandis que je me demande pourquoi un flycase a été laissé en plein milieu de la scène, pilepoil devant la batterie. Je n’ai pas vu qu’il y a un synthé de posé dessus.


















Autant dire tout de suite que la première fois où j’ai vu Laddio Bolocko en concert fait partie de mon top 10 éternel des concerts de ma vie de misérable cloporte amateur de transferts émotionnels. Laddio Bolocko, un groupe que j’étais allé voir uniquement par curiosité puisque son batteur n’était autre que ce gros enfoiré de Blake Fleming, ancien Dazzling Killmen. Dans Psychic Paramount on retrouve le bassiste Ben Armstrong et le guitariste Drew St Ivany de Laddio Bolocko. La cheville ouvrière du groupe complétée par un batteur incroyable, Jeff Conaway.
C’est Ben Armstrong qui utilise le synthétiseur en ouverture du concert. Ça sent bon la préparation du terrain, le calme avant la tempête et le vous allez voir ce que vous allez voir. Une mise en bouche un peu trompeuse, qui pourrait faire craindre que Psychic Paramount ne soit à son tour tombé dans le trip revival hippies qui s’amusent à faire un peu de bruit. On admire au passage le jeu du batteur qui a ce don de faire des trucs apparemment tout simples mais qui sonnent incroyablement. Un sens du groove hypnotique idéal.
Le son de synthé est mis en boucle, l’instrument est poussé de côté par Armstrong avec l’aide de l’homme à la caméra et sitôt tout le monde de nouveau en place Psychic Paramount se lance dans un concert de folie furieuse.























La musique du groupe est aussi incroyable que difficile à décrire. Ce qui l’est moins par contre, ce sont les effets qu’elle procure immédiatement et intensément. La meilleure drogue du monde et de la dure. Ces analogies hippisantes ne doivent pas cacher la vérité : Psychic Paramount est un groupe foutrement violent (j’en ai encore les oreilles qui saignent) et inventif, qui ne se contente pas de faire tourner un plan hypnotique et de le gaver d’effets dans l’espoir que cela le rendra plus intéressant. Il y a de cette énergie intense propre au free jazz le plus halluciné et le plus cosmique (la référence en la matière c’est Interstellar Space, le duo John Coltrane/Rashied Ali) dans le délire ascensionnel et bruitiste de Psychic Paramount, il y a une volonté évidente de pousser les choses toujours plus loin, dans leurs derniers retranchements, avec un côté magistral qui n’a rien à voir avec de la prétention instrumentale (comme chez les rosbifs de Guapo par exemple). Une furie tétanisante.
Drew St Ivany est d’une classe parfaite, sobrement élégant au milieu de cette tornade dont il est le principal instigateur, portant sa guitare toujours très haut, il en tire des stridences à la limite du supportable et jette parfois un regard entendu à l’un des deux autres pour mettre fin juste à temps à un plan et au contraire pour repartir dans une nouvelle direction. Lorsque résonne enfin l’intro de Echoh Air c’est l’orgasme assuré, ce qui fera dire après coup que les nouvelles compositions du groupe sont légèrement en deçà des précédentes. Après autant d’émotions et de frissons il ne restait plus qu’une seule solution : picoler pour continuer d’entretenir l’ivresse, passer la journée du lendemain dans un état second et ne surtout pas vouloir en sortir.

[On attend toujours un successeur à Gamelan Into The Minsk Supernatural, premier et unique album studio de Psychic Paramount datant déjà de 2005. Le groupe est bien retourné enregistrer en studio mais ne serait pas totalement satisfait du résultat, semblerait d’abord vouloir régler quelques détails et réenregistrer. Ce ne sera donc pas pour tout de suite.]