dimanche 10 mai 2009

Dark 80's




















Dark 80’s est le titre d’un vinyle 25 centimètres dont la thématique est fort simple : quatre groupes (français) actuels reprennent un standard du post punk anglais du début des années 80. One Second Riot a osé s’attaquer à One Hundred Years des Cure, Abronzius a choisi Charlotte Sometimes (toujours des Cure), Kill The Thrill a opté pour The Pandys Are Coming de Killing Joke tandis que Year Of No Light a jeté son dévolu sur le Disorder de Joy Division. Ce dernier titre -enregistré à l’origine pour le vingtième anniversaire du fanzine Abus Dangereux- a en quelque sorte été le catalyseur du projet Dark 80’s puisqu’il en a donné l’idée au label lyonnais Atropine records -lequel label est déjà responsable entre toutes autres choses de la magnifique édition double LP de Nord, le premier album de ces mêmes Year Of No Light.
Si on en a marre du revival 80’s qui nous pollue les oreilles avec trop de groupes prétendument post punk/new wave dont l’imagination ne va pas au-delà d’une collection de mp3 glanés sur une plateforme de réseaux sociaux en ligne, on peut tout de suite se rassurer au sujet de Dark 80’s car le format et le nombre de groupes sont ici idéals : quatre reprises c’est en effet amplement suffisant pour atteindre le bonheur car comme nous allons pouvoir le constater ces quatre relectures/réinterprétations sont aussi excellentes les unes que les autres.
Commençons par la face B. Il y a une bonne raison à cela : son premier titre est la reprise de Killing Joke par Kill The Thrill et il n’y a pas plus symptomatique du pourrissement musical opéré pendant les années 80 que le parcours en forme de dégringolade de Killing Joke -comment un groupe capable de pondre trois (quatre ?) premiers albums aussi primordiaux que novateurs a pu s’embarquer dans Love Like Blood ? Période honnie que celle des années 80, voyant le business musical s’intensifier vers toujours plus de fourberie commerciale tout en accélérant la décrépitude de la musique en elle-même. Rip It Up And Start Again, le bouquin de Simon Reynolds aux éditions Allia raconte très bien cette histoire bien qu’à son corps défendant : en bon amateur de soupe l’auteur consacre un bon tiers de son livre au courant new pop (hum) dont il est visiblement un très grand fan, s’appesantissant par exemple sur le cas de Trevor Horn -producteur de : Yes, Buggles, Frankie Goes To Hollywood ou Art Of Noise… que des étrons- qu’il admire et incluant donc toutes les dérives artistiques (et pécuniaires) de la variété anglaise de l’époque aux grands mouvements de l’after punk. La logique du déclin a complètement échappé à Simon Reynolds, lequel la démontre quand même en assurant des parallèles inqualifiables (ce même déclin a fort heureusement amené à une nouvelle réaction, comme celle de la révolution alternative du do it yourself ou du hard core, reprenant quelques préceptes d’autonomie artistique et musicale que certains n’avaient fort heureusement donc pas oubliés). Au milieu de cette décennie marquée par le triomphe du renouveau puritain (Reagan, Thatcher) et de l’effondrement économique européen, Killing Joke est donc en passe de devenir un ange déchu.
Mais nous n’en sommes pas encore là. The Pandys Are Coming est un extrait de l’album Revelations de Killing Joke (sorti en 1982) et on imagine mal quel choix aurait pu mieux convenir à Kill The Thrill. Surprise, c’est la bassiste (et habituellement beaucoup trop discrète) Marylin Tognolli qui chante sur cette reprise respectueuse de l’originale qui tient bien des promesses que je n’osais pas espérer venant d’un groupe qui n’a jamais réellement su se frayer un chemin confortable vers mon cœur d’artichaut -la reprise de Strange Days des Cure par ces mêmes Kill The Thrill sur la compilation/hommage au groupe de Robert Smith publiée par Fear Drop en fin d’année dernière est l’une des pires choses qu’il m’ait été donné d’entendre. Là, la séduction opère à plein d’autant plus que l’efficacité mélodique et rythmique est de mise.
Disorder
repris par Year Of No Light c’est une toute autre histoire. Les bordelais ont dépecé cet incontournable post punk, l’ont étalé sur la table avant de le reconstituer en accentuant certains éléments comme la batterie hyper ralentie et alourdie et les guitares à la fois épaissies et embrumées. On ne peut même pas dire que Joy Division ait été trahi ou honoré -cela dépend du point de vue duquel on se place- tant la métamorphose est complète mais fascinante. Bien que déjà connue de longue date, cette reprise de Disorder reste l’un des meilleurs témoignages enregistrés de Year Of No Light ancienne formule (puisque le chanteur a depuis quitté le groupe).
Sur la face A One Second Riot crée plus que la surprise même si on soupçonnait le duo lyonnais à la hauteur de l’enjeu constitué par une reprise du One Hundred Years des Cure. Là aussi l’esprit de l’original est perverti mais avec plus de tact et de délicatesse que chez Year Of No Light, One Second Riot reprenant autrement et à son compte l’impératif rythmique qui est la marque de fabrique de l’album Pornography et s’accommodant naturellement de l’évidence mélodique originelle, ce qui n’était pas gagné avec une formation aussi restreinte (il n’y a pas de guitare dans le groupe). La voix du chanteur/bassiste de One Second Riot présente en outre de nombreuses similitudes avec celle de Robert Smith ce qui -loin de faire penser à un plagiat- se révèle finalement assez troublant.
L’avantage de chroniquer ce Dark 80’s à l’envers c’est de terminer par la reprise de Charlotte Sometimes. On peut dire ce que l’on veut de ce titre sorti à la base uniquement en single par Robert and C°, qu’il est bancal et mal foutu, mais on ne peut être qu’admiratif quant au traitement folk et sombre que lui a appliqué Abronzius. Abronzius est un duo formé par deux membres d’Overmars (la bassiste/chanteuse Marion et le claviériste Tiphaine) et sauf erreur cette version de Charlotte Sometimes doit être leur premier enregistrement officiellement publié. Dépouillée et minimaliste, écorchée et hantée, cette reprise associe des nappes sonores profondes et belles avec un chant habité et porté par un timbre légèrement éraillé et granuleux -sur les fins de phrases, ce qui rajoute un côté poignant absolument irrésistible. Une interprétation que je peux écouter tous les matins tellement elle possède un double tranchant apaisant et questionnant (la plénitude c’est l’ennui assuré). Magnifique.